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À l’été 2016, un fait divers terrible traduit le symptôme d’une société japonaise en perte d’humanité : le massacre de Sagamihara. Un jeune de 26 ans assassine 19 résidents d’un établissement pour personnes handicapées qui, selon lui, n’apportent rien à la société. Ce drame,que l’on retrouve dans la première scène du film Plan 75, en salles ce mercredi 7 septembre, est ce qui a donné envie à la réalisatrice japonaise Chie Hayakawa de dénoncer les travers grandissants d’une société de plus en plus cynique. Ce film choral raconte la mise en place d’un programme (fictif) du gouvernement qui consiste à offrir aux personnes de plus de 75 ans l’euthanasie. Ceci afin de libérer la société de leur poids. Par-delà l’inhumanité qui se dépeint progressivement, Chie Hayakawa parvient à faire ressurgir la primauté du lien et de la beauté de la vie au cœur d’un monde animé par la rentabilité, l’indifférence et le confort. Elle nous laisse surtout bouleversés à la sortie du film.
Tuez les liens et la vie s’en ira en silence
Michi, 78 ans, travaille dignement dans un hôtel avec d’autres femmes de son âge, auxquelles on propose le programme du plan 75. Vivant chacune dans la solitude, personne ne semble scandalisé. Elles feuillettent des catalogues où se déploient le choix des services (massages, saunas, restaurants) dans les structures privées dédiées à faire mourir les corps. Le plan 75 est d’ailleurs en lien avec une entreprise chargée de les recycler, à des fins de profit. Yukio, l’oncle du jeune Hiromu, employé de bureau du plan 75, vient tout juste d’avoir 75 ans et se prépare donc à être euthanasié. Le mot n’est jamais prononcé.
Il faut voir la scène dans la salle d’attente du programme où défilent des images publicitaires à la télévision. Une femme y explique à quel point elle est heureuse, pour le bien de ses petits-enfants, de consentir à disparaître et donc de ne pas être un poids (humain et financier?) pour eux. Un homme âgé se lève et débranche la télévision, sous l’œil amusé de Michi. Comme tout bon programme, tout y est prévu. Même un centre d’appels est mis en place pour que les personnes âgées puissent s’épancher, durant 15 minutes, avant leur mort. La règle étant d’éviter de s’attacher.
C’est ainsi que Yoko rencontre un jour Michi, qui n’a pas eu peur de transgresser les règles. Cela donne une des seules scènes de vie du film : une partie de bowling. Cette femme âgée, d’une grande pudeur dans la tragédie, incarne le trait typiquement japonais de ne pas vouloir déranger. Elle est aussi la force vive du film, la conscience. En parallèle, une aide soignante chrétienne d’origine philippine accepte de travailler dans un centre d’euthanasie à cause de la rémunération attractive, afin de payer l’opération de son enfant. L’on voit bien à quel point tout concourt à ce que chacun pense à ses intérêts. Pourtant, cette aide soignante s’accroche à son humanité tout au long du film.
La réalisatrice dit dans un réalisme extrême comment le Japon s’est déjà enfoncé dans le silence, c’est-à-dire l’indifférence au plus faible, l’indifférence à l’empathie, l’indifférence au sens.
Dans la lenteur et la lumière froide d’une ville pétrie d’indifférence, ces vies entremêlées se croisent sans s’attacher vraiment. Le message du Gouvernement prend racine dans les consciences, quand les cœurs, à force de non-sens, se réveillent quelque peu à la fin de ce drame si juste et à la fois si effrayant. Dans une économie de mots et d’esthétisme, la réalisatrice dit dans un réalisme extrême comment le Japon s’est déjà enfoncé dans le silence, c’est-à-dire l’indifférence au plus faible, l’indifférence à l’empathie, l’indifférence au sens.
Les familles sont éclatées, la solidarité s’épuise, beaucoup de personnes âgées continuent de travailler pour continuer d’avoir une place ou par souci d’argent. Tout ce qu’elle dénonce ici, dans la fiction, est déjà en puissance dans le Japon contemporain. Le “Plan 75” pourrait bien être la face cachée de bien des pays, où la personne âgée, peu respectée, se meurt ou bien décide de mourir tout à fait. Quand ce film nous fait prendre conscience que les liens suffisent au sens de la vie. Et que l’apprivoisement du Petit Prince avec le renard est toujours cette condition de tous pour pouvoir continuer à vivre. Même les souvenirs seuls valent cela.