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“Excellence, égalité, bien-être” : le triptyque bancal de l’Éducation nationale

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Shutterstock | Rido

Henri Quantin - publié le 07/09/22

Faire du "bien-être" un objectif est-il un aveu d’échec de l’école républicaine et une nouvelle mission de l’Éducation nationale ? Pour l’écrivain et professeur Henri Quantin, si la recherche du bien-être passe par un retour de la littérature, cela ne serait pas une mauvaise nouvelle.

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“Excellence, égalité, bien-être”. Curieux triptyque des “objectifs majeurs de cette année scolaire”, selon la circulaire de rentrée de l’Éducation nationale, signée par le nouveau ministre Pap Ndiaye. Ce n’est pas tout à fait “liberté, égalité, choucroute”, mais avouons que le bien-être offre une chute un peu incongrue, qu’on pourrait croire satirique. Certains élèves, de fait, ont ri en entendant le troisième terme, qui évoque un slogan d’institut de beauté. On pourrait certes imaginer pire trinité. En juin, un jury d’école de commerce a brusquement mis fin à l’entretien d’un candidat, qui tentait d’expliquer les principes de la méritocratie, par cette sentence sans appel : “Les trois valeurs de notre école sont Inclusivité, Diversité, Créativité.”

Le délit d’opinion fut sanctionné par un zéro éliminatoire. Sans doute l’excellence n’est-elle donc pas souhaitable partout. Qu’elle demeure ou redevienne un objectif proclamé par l’Éducation nationale est rassurant, du moins si le triptyque n’est pas qu’une tentative pour satisfaire tout le monde : l’excellence pour amadouer les amis d’Alain Finkielkraut, l’égalité pour faire plaisir aux syndicats d’enseignants, le bien-être pour rassurer les fédérations de parents qui s’inquiètent du poids des cartables.

Le bien-être par défaut

Un esprit taquin pourrait aussi voir dans les trois termes un résumé par étapes de l’histoire de l’Éducation nationale. L’école aurait renoncé à l’excellence, quand elle a revendiqué l’égalité. Désormais sans illusion sur l’égalité, il lui resterait à promouvoir le bien-être. Il n’y a pas accumulation, mais substitution. L’élève, qu’on ne tire plus vers le haut et auquel on n’assure pas non plus des chances de réussite égales à celle de son voisin, pourrait seulement espérer manger équilibré à la cantine ou ne pas se faire tabasser.  

L’excellence vise à éveiller un esprit, l’égalité cherche à former un citoyen.

Notons que les deux premiers panneaux du triptyque ne relèvent pas de la même logique : l’excellence vise à éveiller un esprit, l’égalité cherche à former un citoyen. L’ex-ministre Luc Ferry croit pouvoir lire les déclarations de Pap Ndiaye à travers le prisme d’un vieux débat entre deux visions de l’école, celle qui prétend éduquer, en empiétant sur la famille, et celle qui s’en tient aux savoirs. Dans Le Figaro du 1er septembre, il écrit : “Éducation nationale ou instruction publique ? C’est la rentrée et les prises de position du nouveau ministre de l’Éducation sur le “bien-être” à l’école étant ce qu’elles sont, ce débat va sans nul doute revenir d’actualité.” Et de citer Hugo : “L’éducation, c’est la famille qui la donne ; l’instruction, c’est l’État qui la doit.”

Les bienfaits de la littérature

Si utile que soit ce rappel, la copie du philosophe médiatique est partiellement hors-sujet. Entre “excellence” et “égalité”, oui, il y a un terme qui tend vers l’instruction et un autre qui penche vers l’éducation. En revanche, le “bien-être”, auquel Luc Ferry associe sa distinction, n’a pas grand-chose à voir dans l’affaire. Soit il relève seulement des conditions nécessaires aussi bien à l’instruction qu’à l’éducation, et dans ce cas, en faire un “objectif” est un terrible aveu sur le mal-être de bien des élèves. Soit il s’agit d’une nouvelle mission de l’Éducation nationale et on bascule vers une école du Gym center.

En publiant au même moment un discours de Michel Houellebecq inédit en français, Le Figaro (20/08/2022) a toutefois offert, involontairement, une lueur d’espoir à ceux qui veulent croire que le bien-être peut être un objectif scolaire. Pour expliquer ce que peut apporter le roman quand on souffre, Houellebecq déclare : “La littérature ne contribue nullement à l’augmentation des connaissances, pas davantage au progrès moral humain ; mais elle contribue de manière significative au bien-être humain, et cela d’une manière à laquelle ne peut prétendre aucun autre art.” Pas de connaissances : tant pis pour l’excellence. Pas de progrès moral, exit l’égalité. Reste le bien-être. Si le ministre entend par ce mot une attention accrue à la littérature, le troisième objectif de cette année scolaire est une bonne nouvelle. Seulement pour le bien-être, la littérature ? Peut-être, aussi, pour un peu d’esprit critique vis-à-vis des slogans des circulaires gouvernementales.

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