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De l’art de la confiture dans l’existence

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"Nature morte aux mûres", de Louise Moillon.

Jean-François Thomas, sj - publié le 15/09/22

Le père jésuite Jean-François Thomas convoque Pierre Dac pour rire de la Confiture de nouilles, cette recette alambiquée et immangeable. Dans notre vie intérieure, il est cependant préférable de cueillir des mûres au bord des chemins plutôt que de semer des nouilles dans un champ.

À l’entrée de l’automne, les grand-mères d’antan — et celles d’aujourd’hui qui poursuivent parfois la tradition — composaient les dernières réserves de confitures pour les mois d’hiver. Il est peu probable que votre mère ne se soit jamais risquée à la préparation de la confiture de nouilles dont la recette fut pourtant minutieusement décrite par Pierre Dac en 1934. Il n’est pas trop tard pour la découvrir et l’entendre de la bouche même de son auteur. Évidemment, une telle recette requiert une attention délicate et une bonne dose de patience, mais le jeu en vaut la chandelle.

La Confiture de nouilles

Comme il est impossible ici de reproduire les différentes étapes dans toute leur complexité, permettez-moi d’en rappeler quelques traits essentiels : 

Déjà à ce stade, vous aurez compris qu’une telle réalisation n’est pas à la portée de tous, mais rien ne sert de se décourager et l’effort peut être couronné de succès. Passons sur les complexes étapes techniques précédant la moisson et venons-en à l’utilisation de la nouille pour le but recherché — la confiture : “La nouille encore à l’état brut, est alors soigneusement triée et débarrassée de ses impuretés; après un premier stade, elle est expédiée à l’usine et passée immédiatement au laminouille qui va lui donner l’aspect définitif que nous lui connaissons.”

Dans notre existence, nous passons beaucoup de temps à produire de ces nouilles et à fabriquer de la confiture de nouilles pour constater, à la fin, que tout cela est immangeable.

Prenez une belle bassine en cuivre et versez-y les ingrédients suivants : “Du sel, du sucre, du poivre de Cayenne, du gingembre, de la cannelle, de l’huile, de la pomme de terre pilée, un flocon de magnésie bismurée, du riz, des carottes, des peaux de saucisson, des tomates, du vin blanc, et des piments rouges, on mélange lentement ces ingrédients avec la nouille à l’aide d’une cuiller à pot et on laisse mitonner à petit feu pendant 21 jours. La confiture de nouilles est alors virtuellement terminée. Lorsque les 21 jours sont écoulés, que la cuisson est parvenue à son point culminant et définitif, on place le récipient dans un placard, afin que la confiture se solidifie et devienne gélatineuse.” Vous êtes presque au bout de vos peines, mais vous allez constater que ce ne fut pas peine perdue : “Quand elle est complètement refroidie, on soulève le récipient très délicatement, avec d’infinies précautions et le maximum de prudence et on balance le tout par la fenêtre parce que c’est pas bon !”

Notre mauvais goût

Il y a une morale à cette histoire. Dans notre existence, nous passons beaucoup de temps à produire de ces nouilles et à fabriquer de la confiture de nouilles pour constater, à la fin, que tout cela est immangeable. Bien de nos merveilleuses idées, de nos projets grandioses et de nos rêves d’aventure terminent ainsi par la fenêtre, et cela vaut mieux. Si nous avons la sagesse de ne pas nous accrocher à toutes ces tentatives malheureuses, ce n’est pas trop grave et nous finirons par composer la recette acceptable, celle qui correspond aux ingrédients donnés par Dieu et non point à ceux que notre imagination maladive aura voulu rassembler. Le pire serait de ne pas jeter par-dessus bord cette ignoble composition, de nous forcer à l’ingurgiter et même de la partager avec d’autres. Trop fiers pour avouer que c’est infect, prêts à nous extasier et à crier au génie, nous serions alors en mauvaise posture. 

Il est possible que ce soit d’ailleurs le travers de notre époque, dans le monde et dans l’Église aussi parfois : mâcher de la confiture de nouilles en y décelant des saveurs prétendument merveilleuses. Nos erreurs, nos hérésies, nos péchés procèdent tant de fois de notre mauvais goût, de notre manque de goût. Le simple bon sens voudrait que le contenu de la bassine soit balancé dans le caniveau, mais, sous l’influence de l’opinion, des faux prophètes, de ceux qui donnent le ton, nous préférons nous pâmer plutôt que de prendre le risque de ne pas suivre le chemin du troupeau bêlant et écœuré par les nouilles affreuses. Pierre Dac usait de la parabole et sa philosophie fut bien plus sage que celle des gourous de Saint-Germain-des-Prés de son époque.

Un avant-goût de paradis

Jean Paulhan écrivait que “la gravité est le plaisir des sots”. Notre Seigneur ne s’est pas embarrassé de formules tarabiscotées. Il nous a offert des plats simples, succulents, des paroles qui ne perdent pas leur saveur et des recettes que nous pouvons reproduire avec fidélité si nous désirons L’imiter et nous unir à Lui. Notre époque s’étouffe dans les méandres des mécaniques complexes, produits du diable qui aime nous perdre ainsi dans les détails qui ne mènent qu’à l’abîme. Alexandre Vialatte, ce sage Auvergnat, notait qu’il y a bien des hommes qui ont peu dit et beaucoup retenti, et que cela était la même chose (Chroniques de la Montagne, 17 février 1953). Ce sont les petites choses qui produisent de grands effets. 

Dans notre vie intérieure, il est préférable de cueillir des mûres au bord des chemins, plutôt que de semer des nouilles dans un champ : la confiture sera délicieuse et aura déjà un avant-goût de paradis. La force réside dans la modestie. Les investisseurs de la nouilliculture risquent bien de tout perdre lorsque le temps de la véritable moisson sera arrivée. À entendre, d’une oreille distraite et souvent agacée, les puissants de ce monde, il est clair que les producteurs de nouilles sont légion et que les pots de leur infâme confiture nous attendent sur les rayons de tous les supermarchés du tout fait et du tout cuit. Il est de notre devoir de repousser les nourritures empoisonnées et de leur préférer les mets de nos ancêtres. Notre Seigneur n’a que faire des mécanismes merveilleusement montés et huilés, artificiels, à la merci du moindre défaut de fabrication. Il nous a appris la simplicité et Il nous a donné les règles pour ne pas confondre les nouilles avec des mûres. Rions avec Pierre Dac de nos travers, mais n’y demeurons pas. Gardons une saine distance vis-à-vis d’un monde qui se pourlèche les babines dans l’attente de sa propre condamnation.

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