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“Si vous étiez atteint d’une maladie incurable et en proie à d’extrêmes souffrances, souhaiteriez-vous que l’on vous aide à mourir ?” À cette question de l’institut Ipsos, 79% des sondés répondent “oui” en… 1998 contre seulement 57 % dix ans plus tôt ! Le “non” s’élève à 12% et 9% des personnes interrogées ne se prononcent pas. “En dépit des positions de l’Église catholique, poursuit le sondage, la pratique religieuse n’atténue que partiellement cette opinion majoritaire, puisque deux tiers des catholiques pratiquants déclarent également qu’ils demanderaient qu’on les aide à mourir.” Vingt-quatre ans après cette enquête d’opinion, le clergé devrait sonder ses ouailles pour savoir si elles suivent toujours le sens du vent dominant — au risque d’avoir le destin d’une feuille morte selon le mot de Gustave Thibon — ou bien si le souffle de l’Esprit Saint les pousse à un sursaut d’humanité.
Un phénomène systémique
Emmanuel Macron se dit personnellement favorable à l’euthanasie. Beaucoup de catholiques lui ont renouvelé son bail élyséen, sachant qu’il ferait de la mort choisie la marque de sa seconde mandature. Quant à l’épiscopat, son légalisme le conduit à être le bon élève de la République, comme s’il y trouvait une source de fierté et de reconnaissance. Nombre de clercs ont devancé avec zèle les injonctions sanitaires, sans regimber contre les plus covidémentes, comme celles visant les Ehpad. Seul le hiatus sur les jauges dans les lieux de culte, somme toute mineur, a altéré la relation Église-État. Cette culture de l’obéissance autorise Emmanuel Macron à dire que “c’est le moment de le faire”. On ne voit pas ce qui pourrait l’en empêcher. Les cheveux gris des paroisses se mobiliseront-ils en masse ? Rien n’est moins sûr. Pourtant, ils ont un message à porter.
L’espace nous séparant de la barbarie se résorbe sitôt qu’un État entend, par la loi, éliminer les êtres jugés indésirables.
Cette génération n’ignore point les catastrophes passées, quand le nazisme a suicidé l’Europe. Faut-il rappeler le rôle de von Galen, béatifié par Benoît XVI ? Une biographie de Jérôme Fehrenbach (Cerf, 2018) refit rugir le “lion de Münster” contre Hitler et ses programmes d’extermination. C’est le moment d’en reparler, en famille, dans les écoles, les paroisses, les media, etc. Avec Louis Chedid aussi et sa chanson Anne, ma sœur Anne, craignons que soit revenue “l’historique hystérie”. L’espace nous séparant de la barbarie se résorbe sitôt qu’un État entend, par la loi, éliminer les êtres jugés indésirables. On nous dira, comme au cinéma, que toute ressemblance avec des situations ayant existé ne saurait être que fortuite et que faire un rapprochement avec le nazisme relève de l’amalgame. À cela répondons que le fantôme de Hitler fut si souvent utilisé à tort et à travers pour des raisons politiciennes qu’il serait dommage de ne pas le sortir du placard quand il est opportun de le faire. On ne peut borner l’euthanasie au champ clos de l’intime sans voir qu’il s’agira d’un phénomène systémique, comme le disent les féministes des violences conjugales. Qu’adviendra-t-il des malades — que nous sommes ou serons tous — si l’État permet qu’on ne doive plus les soigner jusqu’à leur mort naturelle, même quand tout est perdu ? Passons ici sur les instincts sordides que cette loi libérera si la grand-mère s’avise de ne pas vouloir mourir, alors que son héritage ne demande que ça.
De l’exception à l’obligation
Le CCNE écrit “qu’il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger”. Mais ce cénacle croit-il une seule seconde que sa digue éthique résistera au tsunami libéral que déclenchera l’onde de choc législative ? Le précédent de la loi Veil invite à penser qu’on passera de l’exception à l’obligation. Parions que l’euthanasie deviendra la norme. L’État-providence nous suggère de partir plus tôt si on ne se sent pas bien, même si on cotise à la Sécu depuis sa première paie. Au lieu de s’occuper de nous, le Léviathan nous abandonne en pleine détresse, au nom du “respect de l’autonomie de la personne”. L’autonomie, la belle affaire ! C’est comme si je disais au sans-abri qu’il a la chance d’être libre. Il y a tellement de moments dans la vie où l’on préfère les mains qui vous réchauffent à la solitude glaciale de l’autonomie. Jean-François Revel disait que “le communisme, c’est le nazisme, le mensonge en plus”. Et le libéralisme alors ? Serait-ce le nazisme, l’hypocrisie en plus ? Nul ne va à l’hôpital pour être souverain dans ses choix mais pour s’y livrer dépendant et confiant dans la médecine, pour être secouru par des gens qualifiés dont le métier est de me renvoyer chez moi plus autonome que je n’étais. Si mon temps sur terre doit s’y achever, peut-on transformer une blouse blanche en uniforme noir, sans abîmer sa vocation ?
Dans son avis, le CCNE vante les soins palliatifs mais sa rhétorique les mentionne comme un sapeur le fait d’une mine qu’il empêche d’exploser. Il en parle pour ne plus qu’on en parle, pour éteindre l’opposition à son projet mortifère. Cette habileté dans le cynisme fait songer au mot du Führer quand il désignait l’euthanasie sous le nom de Gnadentot, la “mort miséricordieuse”. Le mal salit le bien en l’embrassant, en le tripotant. C’est la signature du pervers.
La banalité du mal
Ceux qui connurent “les heures les plus sombres de notre histoire” savent que la banalité du mal, pour comploter contre l’homme, détourne toujours le bien à son profit, le préempte sans sourciller. Aider à mourir est vendu comme une bonne action. Mais l’Aktion T4 œuvrait aussi à une forme d’hygiénisme social dont toute l’Allemagne sortirait grandie, assainie, purifiée. Tellement de gens y croyaient ! C’est le paradoxe du mal : il ne se montre ni se dit mais emprunte l’apparence du bien. Et le risque est encore plus fort en démocratie.
Nos sociétés dites avancées ignorent le mal en ce sens qu’il ne fait l’objet d’aucune proposition, qu’il y est formellement obscène.
Nos sociétés dites avancées ignorent le mal en ce sens qu’il ne fait l’objet d’aucune proposition, qu’il y est formellement obscène. Il est convenu que tous les programmes politiques aspirent au bien du peuple, ce sont leur pertinence ou leur faisabilité qui simplement diffèrent. Le citoyen croit avoir le choix entre des offres désirant toutes son bien. C’est le grand subterfuge du postulat démocratique, et la raison pour laquelle tous les pays s’y réfèrent dans les mots, que de pouvoir dire que tout ce qu’il promeut est étranger au mal et concourt à l’émancipation des hommes. Le catholique, à plus forte raison si les errements tragiques de l’histoire vivent en sa mémoire, sait que les meilleures intentions du monde, ou qui se présentent comme telles, voilent les desseins les plus sombres et pavent l’enfer depuis toujours.