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Une première dans l’histoire parlementaire. Pour la première fois, un rapport d’information est consacré aux pratiques de l’industrie pornographique. Intitulé Porno : l’enfer du décor, le document de près de 200 pages présenté ce mercredi 28 septembre démontre l’ampleur de la banalisation de la pornographie, sa violence croissante, et dénonce un manque de contrôle total sur une industrie qui cause des ravages chez les adolescents, voire chez les enfants. Six mois de travaux, des dizaines d’heures d’auditions et une analyse des principaux contenus pornographiques en ligne sur Internet ont permis de dresser un constat glaçant : “un accès facilité, démultiplié et massif des mineurs à des contenus pornographiques violents et toxiques”, “un porno “trash” accessible gratuitement en quelques clics”, “une jeunesse biberonnée au porno” et ce parfois dès le primaire.
Les conséquences, observées par de nombreux experts auditionnés par la délégation, sont nombreuses et inquiétantes : traumatismes, troubles du sommeil, de l’attention et de l’alimentation, vision déformée et violente de la sexualité, difficultés à nouer des relations avec des personnes du sexe opposé, hypersexualisation précoce, développement de conduites à risques ou violentes, etc.
Premier film porno à 14 ans
S’appuyant sur des études récentes, le rapport révèle une tendance de plus en plus ancrée chez les adolescents, et plus marquée chez les jeunes hommes : deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers de ceux de moins de 12 ans ont déjà été exposés à des images pornographiques, volontairement ou involontairement. Sur une audience estimée à 19,3 millions de visiteurs uniques en 2021, les sites pornographiques sont consultés par 36 % des internautes français, dont 2,3 millions de mineurs. Chaque mois, près d’un tiers des garçons de moins de 15 ans se rend sur un site porno.
L’âge moyen de premier visionnage d’une vidéo pornographique est 14 ans, mais la première exposition peut intervenir dès le primaire. La confrontation à des images sexuelles se fait en grande majorité via un smartphone et par l’intermédiaire de trois canaux principaux : les sites pornographiques, les réseaux sociaux, et les sites de téléchargement illégal.
Le visionnage de contenus pornographiques peut être involontaire, à l’occasion de recherches sur Internet, du téléchargement d’un film ou d’un dessin animé, de discussions sur des réseaux sociaux… Les sites de streaming comportent fréquemment des fenêtres pop-up à caractère sexuel. Il arrive aussi que le film téléchargé comporte des séquences pornographiques en lieu et place du film attendu. Selon un sondage Ifop de 2017, plus de la moitié des adolescents de 15 à 17 ans sont déjà tombés par hasard sur un extrait vidéo à caractère pornographique.
“Le porno n’est plus une cassette VHS”
Pour les rapporteurs du texte, la pornographie a franchi, à partir du milieu des années 2000, une nouvelle étape avec la massification de la diffusion de vidéos pornographiques en ligne et véhiculant des contenus de plus en plus violents. “Le porno n’est plus aujourd’hui ce magazine ou cette cassette VHS achetés discrètement dans des boutiques spécialisées”, souligne le rapport. “La pornographie d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle de nos grands-parents”, confiait déjà Sabine Duflo à Aleteia. “Elle donne une image de la sexualité complètement déshumanisée, robotisée, sans aucun lien avec les sentiments qui devraient pourtant toujours l’accompagner.”
Les contenus proposés aujourd’hui, notamment via les “tubes” (plateformes en ligne diffusant gratuitement et sans aucune restriction d’accès des contenus pornographiques, les plus connues étant Pornhub et Youporn), érigent la violence comme modèle de sexualité, en liant plaisir et domination. Selon une étude portant sur 304 scènes pornographiques sélectionnées parmi les meilleures ventes du site Adult Video News, 90% des scènes pornographiques contiennent de la violence explicite. Selon d’autres chiffres communiqués à la délégation, Pornhub recense environ 72.000 vidéos faisant l’apologie de l’inceste et de la pédocriminalité, et 2.000 vidéos ayant pour mot clé “torture”.
Aucun garde-fou
“Le porno, y compris le porno le plus extrême et “trash”, est aujourd’hui à portée de clic, accessible à toutes et tous en ligne, gratuitement, et sans aucune barrière ni garde-fou”, alertent les auteurs du rapport. Une consommation massive en violation totale du code pénal qui réprime toute diffusion de contenu pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. Une réalité dénoncée par le docteur Israël Nisand, gynécologue et obstétricien, lors de son audition par la délégation : “Donner aux enfants des images porno dans la rue, c’est un délit passible de prison, mais le faire sans aucun contrôle ni limitation, c’est possible sur la toile”.
Les recours judiciaires n’aboutissent pas au blocage des sites. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, l’ex-CSA) n’a pas les mains libres pour sanctionner directement les sites accessibles aux mineurs. Elle doit procéder par voie d’huissier et faire des mises en demeure. Sur ce fondement, le président de l’Arcom a, en décembre 2021, mis en demeure cinq sites pornographiques d’empêcher leur accès aux mineurs. Mais une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par la société chypriote MG Freesites, éditrice du site Pornhub, a pour le moment empêché le tribunal de se prononcer.
L’autre levier d’action est la vérification de l’âge des internautes. Les sénateurs insistent sur l’urgence de trouver des solutions techniques satisfaisantes pour vérifier leur identité. Aujourd’hui, aucune méthode n’est complètement fiable.
Effraction psychique
Le visionnage d’images pornographiques a des conséquences différentes selon l’âge mais peut choquer à tout âge. Lorsque la première exposition survient avant 12 ans, elle est le plus souvent involontaire et peut conduire à des traumatismes importants. Lors de son audition par la délégation, Maria Hernandez-Mora, psychologue clinicienne spécialisée dans les addictions sexuelles, a indiqué que la quasi-totalité de ses patients ont visionné des contenus pornographiques avant l’âge de 12 ans. Tous se souviennent des premières images visionnées, dont ils ne parviennent pas à se défaire.
Les enfants n’ont pas de représentation psychique de la sexualité des adultes et sont violemment agressés.
Selon Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne spécialisée dans l’enfance et l’adolescence et présidente de l’association e-enfance, avant la puberté, ces images sont une effraction psychique qui sidère les enfants, leur fait peur, et parfois les fascine et les excite. Ils ne sont pas préparés à voir ces images violentes, car les enfants n’ont pas de représentation psychique de la sexualité des adultes et sont violemment agressés par ce qu’ils ont tout à coup sous les yeux. Nombre d’entre eux gardent le silence et se sentent en faute. Selon elle, ce silence, cette culpabilité et la prégnance des images qu’ils ont vues provoquent chez bon nombre d’entre eux des troubles anxieux : troubles du sommeil, cauchemars, agitation, maux de ventre, de tête, crises d’angoisse.
Vision déformée de la sexualité
La pornographie a un impact sur la façon dont les adolescents et les jeunes adultes abordent leur vie affective. Elle constitue parfois la seule référence à ce que peuvent être des relations sexuelles. Selon une enquête Ifop de 2017, 45% des adolescents de 15 à 17 ans ayant déjà eu un rapport sexuel ont déjà essayé de reproduire des pratiques de films pornographiques. Pour Béatrice Copper-Royer, “l’idéal pornographique est tyrannique et angoissant.” Les adolescents abordent la sexualité sous l’angle de la performance, avec la peur de ne pas être à la hauteur de ce qu’ils ont vu et qu’ils pensent être la norme.