Il était la fierté de Vladimir Poutine et le symbole du rattachement de la Crimée à la Russie. Le pont de Crimée, indispensable pour ravitailler la péninsule en vivres et en armes, a été la cible d’une attaque ukrainienne qui a provoqué un endommagement massif. Cette attaque ressemble à ce qu’on pu faire ailleurs les commandos britanniques : une opération à l’arrière des lignes qui vise un objectif à la fois symbolique et stratégique. Si le pont a été remis en service quelques heures après l’explosion du train de carburant, son trafic n’a pas encore retrouvé une situation normale.
À cette attaque humiliante, la Russie a répliqué par un bombardement massif des villes ukrainiennes. Plus de 80 missiles ont été lancés sur l’ensemble du territoire, dont près de la moitié ont atteint une cible. Une attaque sans finalité stratégique ou tactique, visant à faire peur, à détruire, à terroriser. Des destructions certes, mais aucune avancée sur le plan militaire. Et des images terribles d’universités, de musées et de parcs pour enfants endommagés. La Russie semble s’en moquer, elle qui a perdu depuis bien longtemps la bataille de la communication.
Plus personne, pour l’instant, ne cherche à rompre le front, ni à opérer d’avancées stratégiques, mais à mener des coups d’éclat à la fois pour rassurer sa population quant à ses capacités d’intervention et pour faire peur à la population adverse.
Demeure donc une impression de brouillard et de mirage, de guerre qui s’émiette et se fracture. Plus personne, pour l’instant, ne cherche à rompre le front, ni à opérer d’avancées stratégiques, mais à mener des coups d’éclat à la fois pour rassurer sa population quant à ses capacités d’intervention et pour faire peur à la population adverse. Une guerre qui tourne en rond, mais dont la spirale peut être dangereusement ascendante.
“Riposte proportionnée”
Le discours de Vladimir Poutine, le lundi 10 octobre, devant son Conseil de Défense, marque une rupture avec les huit premiers mois de la guerre. Plus d’usage de l’expression “opération spéciale”, aucune mention de l’OTAN et des Européens. Mais un adversaire qualifié de “terroriste” et une guerre exclusivement menée contre le terrorisme. La rhétorique est claire : l’attaque du pont de Crimée est un acte terroriste et la Russie répond à cette agression par les bombardements des villes. Vouloir éliminer le terrorisme avec des bombes est aussi efficace que de chercher à écraser un moustique avec un marteau. Mais en modifiant sa rhétorique et en renversant la dialectique de la guerre, Poutine change la dimension de l’intervention et réécrit l’histoire du conflit en cours. Lutter contre le terrorisme revient à s’inscrire dans l’histoire des prises d’otages du théâtre de Moscou (2002) et de l’école de Beslan (2004). Un souvenir douloureux qui parle encore au cœur des Russes. C’est aussi faire usage de la rhétorique de l’Occident, en la retournant contre lui. N’est-ce pas pour lutter contre le terrorisme que les Occidentaux sont intervenus en Irak et au Sahel ? Poutine cherche à montrer que, finalement, il n’est pas si différent de nous. Dans son allocution, le président russe emploie également l’expression “riposte proportionnée” ; une expression de désescalade qui rompt avec la rhétorique nucléaire des dernières semaines. Des réponses proportionnées aux attaques subies, comme furent, selon lui, les bombardements des villes ukrainiennes. Faut-il y voir un gage donné à l’Occident ou bien un aveu de faiblesse face à un armement qui commence à patiner ?
Toujours est-il que cet émiettement de la guerre éloigne d’autant plus la perspective d’une sortie du conflit. Huit mois après le déclenchement de l’opération, et alors que l’hiver commence à poindre, c’est surtout un enlisement que chacun constate, où les belligérants tentent des interventions non coordonnées et non stratégiques afin de démontrer d’abord à lui-même qu’il est toujours en état de poursuivre les combats.