Les tensions internationales, le climat social délétère de la rentrée politique d’octobre et le début de la période d’hiver, inquiètent suffisamment sur les risques de conflits, comme il y en a eu en Angleterre à la fin de l’été. Cela nous ramène à une question aussi simple que fondamentale : l’homme est-il par nature un être social ? L’amitié est-elle une vertu politique ? Problématiques de bac de philo, quand on a étudié les grands théoriciens du Contrat social de la période moderne. Hélas ! comme l’ont dit si bien un Bernanos ou un Romano Guardini, l’ère de l’homo technicus nous a définitivement fait entrer dans la post-modernité dès la Première Guerre mondiale.
La recherche commune du meilleur bien possible
L’idéal de civilité fondé sur le contrat social a pris du plomb dans l’aile. Au-delà d’une apparence d’unité, la confrontation des intérêts particuliers, souvent économiques (“Y’a pas de petits profits !”) est accentuée par un gouvernement plus gestionnaire que politique. Il y a de quoi craindre la guerre de tous contre tous… Le constat est bien loin des espérances des théoriciens du contrat social : l’homme peut devenir un loup pour l’homme quand il perd le sens du bien commun au sein même de sa communauté politique. La fraternité est un mot vide de sens si elle ne trouve pas son fondement dans la nature humaine, à l’instar de la liberté et de l’égale dignité de tous.
Liberté, égalité, fraternité : le pape François reprend ces trois mots dans son encyclique Fratelli Tutti (2020) (n. 103-105). Dans ce texte, celui-ci articule aussi deux notions importantes : fraternité universelle et amitié sociale, pour rappeler ainsi que l’homme n’a rien d’un être solitaire dans un hypothétique état de nature précédant l’état social. À travers ses lignes, on retrouvera la signification de l’amitié selon Aristote, comme un amour réciproque de mutuelle bienveillance : “L’amour de l’autre pour lui-même nous amène à rechercher le meilleur pour sa vie. Ce n’est qu’en cultivant ce genre de relations que nous rendrons possibles une amitié sociale inclusive et une fraternité ouverte à tous” (FT, n. 94). À méditer, à l’heure d’une convention citoyenne sur le suicide assisté et l’euthanasie… La merveilleuse caractéristique de l’amitié, c’est ce bien recherché pouvant devenir, à l’échelle d’une société, un bien commun. Cela implique le rejet des conceptions fausses de l’amitié :
“Lorsqu’elle est authentique, cette amitié sociale au sein d’une communauté est la condition de la possibilité d’une ouverture universelle vraie. Il ne s’agit pas du faux universalisme de celui qui a constamment besoin de voyager parce qu’il ne supporte ni n’aime son propre peuple. Celui qui a du mépris pour son propre peuple établit dans la société des catégories, de première ou de deuxième classe, de personnes ayant plus ou moins de dignité et de droits. De cette façon, il nie qu’il y a de la place pour tout le monde” (FT, n. 99).
Dans le respect de la différence des peuples
Il ne peut y avoir de paix sociale dans une société fondée sur le modèle du nomadisme (“Je t’aime, moi non plus !”). Le véritable universalisme s’incarne toujours dans une situation particulière, locale. L’amitié sociale se vit dans la diversité de chaque nation, de chaque culture. Nous en avons eu un bon exemple lors des funérailles de la reine Élisabeth II : parce qu’elle a su si bien incarner et représenter la nation britannique, ces dix jours de deuil ont rassemblé dans la paix sociale des peuples extrêmement divers. La figure d’un roi peut — et doit — établir un lien entre l’universel et le particulier.
Thème cher au pape François, dans son combat contre le mondialisme idéologique. En gommant la diversité des nations, il détruit ce qu’il prétend poursuivre : la paix sociale. Curieux paradoxe !
Il n’y a donc d’amitié sociale que dans le respect de la différence des peuples, des nations, des cultures. Thème cher au pape François, dans son combat contre le mondialisme idéologique. En gommant la diversité des nations, il détruit ce qu’il prétend poursuivre : la paix sociale. Curieux paradoxe ! “Ce faux rêve universaliste finit par priver le monde de sa variété colorée, de sa beauté et en définitive de son humanité. En effet, “l’avenir n’est pas monochromatique, mais […] est possible si nous avons le courage de le regarder dans la variété et dans la diversité de ce que chacun peut apporter” [Discours aux jeunes, Tokyo, 25/11/2019]” (FT, n. 100).
Une condition de la paix
Enfin, l’amitié sociale, la réalisation du bien commun et de la paix civile repose sur reconnaissance de la dignité de chaque personne humaine, non pas l’adhésion à la violence d’une idéologie humaniste hors-sol. En ces temps d’incertitudes, de bouleversements sociétaux, de violence civile contenue, les chrétiens peuvent en être les hérauts, les champions parce qu’ils vivent cette amitié sociale grâce à la vertu théologale de charité : “Il s’agit de progresser vers un ordre social et politique dont l’âme sera la charité sociale. Une fois de plus, j’appelle à réhabiliter la politique qui “est une vocation très noble, elle est une des formes les plus précieuses de la charité, parce qu’elle cherche le bien commun” [Evangelii gaudium, 205]” (FT, n. 180).