Notre Église vit une forme de mort dans la révélation répétitive d’une série de scandales. L’heure est venue de boire à la coupe et d’être baptisés du baptême du Christ, de vivre une purification radicale pour entrer dans la promesse d’une vie plus haute. Cette purification ne pourra pas essentiellement se faire par un alignement sur le monde et ses directives, même si nous devons écouter avec attention ce que nous disent des spécialistes en dehors de l’Église, dans leurs domaines de compétence. Elle passera fondamentalement par un retour à la source : l’Eucharistie, l’adoration, la pénitence, l’exigence d’enseigner les vérités éternelles, la destinée de l’homme à la gloire et le risque de sa perdition.
Revenir à la source
Il est consternant de voir que l’épreuve de vérité que nous vivons depuis des années maintenant est instrumentalisée par ceux qui font un travail de sape pour miner les fondements même de la catholicité et ses trésors, à savoir la succession apostolique des évêques au nom d’une vision horizontale de l’Église comme un corps ectoplasmique démocratisé dépourvu de toute verticalité et structure hiérarchique, le célibat pour le Royaume, le sacerdoce ministériel par lequel des hommes fragiles agissent en la Personne même du Christ quand ils célèbrent le sacrifice eucharistique et pardonnent en son Nom. L’Église est toujours en réforme, mais elle ne se réinvente pas en faisant table rase du passé. Elle marche le pas lourd de tout un héritage, comme la terre colle aux pas du pèlerin de Chartres. Non comme un poids qui l’entrave, mais comme le socle de son élévation et les racines de ses ailes. Elle est héritière de la Parole de Dieu portée par le peuple saint et n’a pas à s’aligner servilement sur l’écume passagère des modes éphémères. Ce qui n’empêche pas d’être à l’écoute des aspirations et des inquiétudes du temps.
“Esprit, es-tu là ?” Certains tentent de maquiller d’une modernité surfaite le spectre de l’« esprit du concile » qui aurait été entravé par la “révolution conservatrice” de Jean Paul II et de Benoît XVI… Belle révolution pourtant que celle qui nous a donné un saint et un homme dont les écrits resteront dans les siècles… Cet “esprit du concile” n’a-t-il pas empêché le concile, dont les textes majeurs sont admirables, de porter pleinement son fruit ? Les années soixante-dix ont vu pour une part tellement de scandales, de départs de prêtres, de liturgies bâclées, d’errance dogmatique masquée d’humanisme sentimental qu’il est permis d’éprouver cet esprit et de discerner s’il vient vraiment de Dieu. Le “printemps de l’Église” n’est-il pas entré dans un long hiver ? L’acte de mémoire et de vérité doit être fait sur la réception du concile. Le bilan sera contrasté et douloureux. Il sera pourtant nécessaire. “La lucidité est une blessure, écrit René Char, mais c’est la blessure la plus proche du soleil.” La mémoire des ombres est nécessaire pour marcher dans la lumière.
L’illusion pharisienne
L’affaissement spirituel postconciliaire a favorisé l’émergence d’icônes charismatiques qui ont longtemps suscité un engouement immense et déraisonnable. À part quelques rares exceptions, comme Pierre Goursat, l’un des fondateurs de l’Emmanuel, qui était si humble que personne ne se rendait compte qu’il était là, combien se sont effondrés dans les scandales ? Est-ce seulement de leur faute ? Ne sommes-nous pas en partie responsables de cette forme d’idolâtrie qui nous pousse à élever au pinacle des êtres fragiles et à les mettre en danger de tomber dans l’aveuglement de l’orgueil, le syndrome du sauveur et la démesure du pouvoir ? Les mêmes qui, hier encore, encensaient aveuglément leurs idoles dans l’abdication de tout discernement critique sont souvent les mêmes qui les détruisent aujourd’hui dans l’absence totale de retenue et de miséricorde.
L’heure n’est pas à l’optimisme béat, mais à l’espérance surnaturelle.
La vérité est que notre attention doit d’abord aller aux victimes. La vérité est aussi que chacun de nous est capable du pire, et que nul homme, jusqu’au plus scandaleux des pécheurs, ne se réduit à son péché. Y compris le pire des pédophiles pour lequel Jésus est mort, car il est mort pour ceux qui étaient perdus… Oui, il faut faire de l’Église une maison sûre et éviter que des pervers n’instrumentalisent le don de Dieu pour satisfaire leurs pulsions malsaines. Mais sans tomber dans un pharisianisme drapé de vertu, ni dans l’illusion d’une caste de purs, comme ces hypocrites qui mettent dans leur impitoyable critique l’amertume de leurs secrets échecs. Il faut relire la petite Thérèse :
Si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance. Je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent.
Le temps de l’espérance surnaturelle
L’heure n’est pas à l’optimisme béat, mais à l’espérance surnaturelle. L’heure est à ma conversion, et à la vôtre. Chacun de nos péchés blesse le Corps entier de l’Église, chaque âme qui s’élève élève le Corps entier. L’heure que nous vivons est celle de la foi qui déjà traverse la nuit et devine l’aurore qui se lève. Le Seigneur reste fidèle, même en plein hiver. Notre Église est pleine de pécheurs mais elle demeure l’Église des saints, du peuple immense des tout petits, cachés aux yeux du monde comme le grain qui meurt, mais à qui Dieu s’est plu à donner le Royaume.
Pratique