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Les derniers événements qui ont défrayé la chronique aussi bien dans le monde, en France ou dans l’Église ont eu de quoi nous donner la nausée. Même ce mois d’octobre si doux n’arrive pas à apaiser ces violences quotidiennes, ces crimes, ces guerres, ces mensonges et ces scandales. La barbarie le dispute à la vengeance, l’hypocrisie au vice, l’incompétence à l’obscénité. On vend du papier et on polémique de façon ignoble sur le meurtre d’une pauvre enfant, on se gausse de l’inaptitude d’un Premier ministre anglais, on gourmandise la chute d’un évêque, la vengeance d’un père, les postures politiciennes à l’Assemblée nationale et les menaces nucléaires en Ukraine.
Il y a un péché de gourmandise voyeuriste dans tous ces drames, toutes les polémiques de notre monde et certains chroniqueurs ne vivent que sur ces violences, tels ces hebdomadaires sur les devantures de kiosques à journaux qui affichent des titres affolants de drames familiaux afin de vendre leur papier et de rassasier leurs lecteurs de détails atroces. L’avènement de l’image a créé aussi ce besoin constant de voir, presque hypnotique : je me rappelle cette adolescente de 15 ans qui avait passé toute la nuit du 11 septembre 2001 à regarder en boucle les tours du World Trade Center s’effondrer.
Guérir son âme
Un immense besoin de silence se fait parfois sentir, un besoin de se protéger, car toutes ces réalités nous abîment. Nous savons protéger notre corps des coups et blessures, de façon instinctive : nous nous rattrapons à une rampe, nous ôtons sans réfléchir notre main d’une eau trop chaude, notre œil est aux aguets lorsque nous traversons et, lorsque notre corps est en souffrance, nous savons qu’il faut nous retirer dans la pénombre et le silence pour prendre le temps de guérir. Notre âme aussi a parfois besoin de guérir de toutes ces blessures qui lui sont imposées, de ces traumatismes quotidiens dont on nous abreuve. Bien sûr, on peut éteindre la télévision, ne pas suivre l’actualité, ne pas s’intéresser à ce qui se passe et tel un Michel de Montaigne nous réfugier dans une tour d’ivoire. Ce luxe d’esthète ressemble un peu à du mépris et si nous ne sommes pas du monde, nous sommes dans le monde, invités à le porter, à intercéder, à souffrir et à nous réjouir avec lui. Un juste équilibre entre l’information et la retenue doit être vécu.
Et ce corps malade de l’Église
Mais je pense à l’Église aussi, à ce Corps qu’est l’Église et qui est en souffrance. Ce corps est blessé et ce corps, dont la tête est le Christ, est quotidiennement lacéré. Lacéré dans ses membres persécutés dans de nombreux pays, martyrs de la foi que l’on oublie trop souvent. Mais lacéré aussi par ses membres et non des moindres, cellules cancéreuses des scandales dont il semble qu’on ne pourra jamais sortir. Chaque année, on parle, on prend des postures, on produit des mesures, on pose des gestes qui ne sont symboliques que pour ceux qui les inventent.
Nos agitations médiatiques, nos discours entendus ne résoudront rien s’il n’y a pas cette retenue humble et contrite, ce silence qui ne laisse la parole qu’aux victimes, cette pudeur qui a tant manqué aux coupables.
Et si on se taisait ? Tel Jésus portant le péché du monde devant Hérode auquel “il ne répondit rien”. Ce n’est pas un silence de mépris, ce n’est pas un silence d’ignorance, ce n’est pas un silence de désintérêt. C’est le silence d’un immense respect qui laisse la souffrance s’exprimer, le silence du coupable qui reconnaît sa faute, le silence de celui qui doit aller au bout de sa passion. Ce qui succède au vendredi saint, c’est le silence du grand et saint samedi, le silence du grain de blé tombé en terre. Ce Corps malade de l’Église a toujours le Christ comme tête, mais c’est un corps de mise au tombeau. Nos agitations médiatiques, nos discours entendus ne résoudront rien s’il n’y a pas cette retenue humble et contrite, ce silence qui ne laisse la parole qu’aux victimes, cette pudeur qui a tant manqué aux coupables.
La parole peut-être contreproductive
La parole peut être attendue quand elle est compétente, intéressante, cohérente ou novatrice. Mais la parole peut être totalement contreproductive quand elle ne fait que rajouter de la souffrance à la souffrance et conduit les auditeurs à hausser les épaules de ceux qui attendent des actes et non plus des paroles. Jésus séduit les foules qui l’écoutent parce qu’il parle avec autorité, étymologiquement “avec la capacité de faire grandir”.
Et si nous nous taisions un peu au lieu de produire des discours et du papier, des manifs et des congrès ? Si nous travaillions, au niveau national et dans chaque communauté chrétienne, à essayer de vivre simplement et humblement la parole de l’Évangile, bêcher la terre du figuier stérile que le maître voulait couper pour voir si, à l’avenir, il porterait du fruit ? Nous taire jusqu’à ce que de nouveau notre parole puisse être reçue comme une parole qui peut faire grandir au lieu de nous poser comme des donneurs de leçons à un monde qui ne nous regarde plus et n’attend plus grand-chose. Si nous disions juste que nous allons prier et servir nos frères, en particulier les plus petits et les plus pauvres. Malheur à nous si nous n’annonçons pas l’Évangile, mais annoncer l’Évangile, c’est déjà commencer par le vivre.