Sainte ou pas, Marie-Eustelle, dont les évêques de France ont autorisé début novembre l’ouverture de la cause en vue d’une béatification, n’a pas toujours été une enfant modèle : elle s’en confesse dans les mémoires qu’elle écrivit dans les dernières années de sa courte vie, sur demande de son évêque. Née en 1814 au sein d’une modeste famille d’un faubourg de la ville de Saintes (Charente-Maritime), elle est choyée par des parents en extase devant elle, qui lui passent tous ses caprices. Vive, susceptible et sensible, elle est douée d’imagination et de mémoire et apprend sans peine à lire et écrire dans l’école qu’elle fréquente entre 5 et 10 ans.
Le couple est pratiquant : la mère sincèrement pieuse, le père, maçon couvreur, plus tiède. Naturellement baptisée, leur fillette manifeste de l’intérêt pour la religion, mais son comportement laisse à désirer : elle n’en fait qu’à sa tête !
Quand il lui faut préparer sa première communion, l’année de ses 11 ans, elle y met cependant toute son ardeur. Elle s’en souviendra comme d’une étape décisive dans son chemin de sanctification, même si les tentations du monde la détournent très vite de sa soif de Dieu. Durant 4 années, elle est écartelée entre d’authentiques élans spirituels et des désirs plus superficiels : aimer la danse et les belles tenues est-il si répréhensible ?
C’est une confession au curé de sa paroisse (Saint-Pallais) qui tranche ses débats intérieurs. “Le Seigneur, mon enfant, a sur vous des desseins particuliers, lui assure le clerc ; je vous engage à y répondre.” Marie-Estelle conjure la Vierge Marie de l’épauler pour être à la hauteur de cet appel. Une communion pascale achève de la fortifier et de la soustraire à la “tyrannie du respect humain.” Elle a 15 ans. Il lui reste 13 années à vivre.
Portée continuellement sur les ailes de la grâce divine.
Ce seront treize années de piété toujours plus ardente. Elle se coupe du monde, pour ne plus se consacrer qu’aux travaux de couture nécessaires à sa subsistance et prendre soin de sa vie de foi. Messe et chapelet quotidiens, heures d’oraison, confession fréquente. Son foyer et l’église deviennent son seul horizon. Tant et si bien qu’elle s’attire railleries et sarcasmes : si jeune et tant de bondieuseries ! Même ses parents en sont ébranlés : “Elle en ferait pas un peu trop, la petite ?”
La petite se sent sereine, “portée continuellement sur les ailes de la grâce divine.” Elle tourne le dos aux rumeurs, rivalise de patience et de charité, s’en remet pour tout à son curé.
L’Eucharistie sinon rien
D’où vient sa force tranquille ? Des grâces reçues dans l’Eucharistie. Marie-Eustelle n’a d’yeux que pour le Tabernacle. Communier la transporte. Seulement, en ce temps, et jusqu’aux divers décrets du pape Pie X début XXe, l’usage est de ne communier qu’une fois par mois.
La jeune couturière ne peut s’y résoudre. Elle obtient de son confesseur de pouvoir recevoir le Saint-Sacrement tous les quinze jours, puis chaque semaine. Dieu dans l’hostie sacrée est pour elle “son frère, son ami, son tout.” Cette union à son Bien-aimé la porte dans sa ferveur : elle s’adonne à toujours plus de mortifications (jeûne, haire, cilice, discipline)… Elle croit ainsi qu’elle sera plus capable de répondre à la petite voix intérieure qui lui a intimé “Je dois te suffire à tout.”
Bien que très impressionné par la qualité d’âme de l’adolescente, l’évêque de la Rochelle, Mgr Villecourt, met le holà : mettre sa santé en danger ne sied pas au Tout-Puissant. De même qu’il désapprouve sa tentation de se retrancher en clôture : son essai de vie religieuse en 1836 a tourné court ? Le Seigneur veut sans doute que Marie-Eustelle se sanctifie dans l’ordinaire de sa modeste vie. Elle se contente donc de prononcer, à 23 ans, des vœux de chasteté et pauvreté tout en poursuivant ses travaux de couture, et en entretenant, à partir de 1839, les linges et ornements de l’église.
Une pionnière de la dévotion eucharistique
Son directeur spirituel lui cède pourtant sur un point : celui de pouvoir communier quotidiennement. Marie-Eustelle en est comblée. Elle ne s’en use pas moins la santé en redoublant de dévotions, si bien qu’elle meurt prématurément à 28 ans. Elle laisse des mémoires inachevées, rédigées à partir de 1842 sur l’insistance de Mgr Villecourt et près de 200 lettres.
D’abord inhumée au cimetière, elle repose désormais, dans sa chère église de Saint-Pallais, dans la chapelle du Saint-Sacrement. Ce saint-Sacrement qu’elle a tant aimé et contribué à faire aimer : entre autres exemples, la congrégation des “Servantes de l’Eucharistie”, fondée 15 ans après sa mort, se réclame d’elle. Aujourd’hui encore, les prières et cantiques de piété qu’elle a composés peuvent nous aider à mieux entrer dans le mystère de la Présence réelle.