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La jeune fille s’était affairée. Elle était venue de loin. Elle voulait faire les choses bien. Elle arrivait avec ses valises, décidée à rester plusieurs jours. Elle arrivait après d’autres visites, désignée pour prendre son tour.
Dès son arrivée, elle trouva sa mère changée. Pas le temps de s’appesantir, il y a des manches à retrousser et de la vaisselle à essuyer. Après tout, elle est venue pour aider.
Pourtant, au cœur de cette frénésie (cette fuite?) dans les multiples activités, elle guette dans le regard de sa mère ce moment de disponibilité. Car le temps passe si vite, surtout quand il est compté. On lui dit que sa mère va mourir, elle voudrait tant lui parler. Il y aurait tant à dire, et pourtant ce n’est pas chose aisée de trouver les mots alors qu’elle est à peine arrivée.
Être maman, l’apprentissage d’une vie
En attendant elle la veille, voire la surveille. Dans une inversion des rôles qui lui semble naturelle : c’est un juste retour des choses que de prendre soin d’elle. Après toutes ces années…
Elle cherche à l’épargner, la soulager, l’alléger. Elle pense pour son bien devoir tantôt l’aider, la persuader, la dissuader. Elle essaie de prendre les devants, même si elle n’y parvient pas vraiment : c’est un métier d’être maman. Et son apprentissage demande du temps. Le temps d’une vie finalement.
Alors elle fait de son mieux, elle donne tout ce qu’elle a. Enfin tout ce qu’elle peut. Elle voudrait être parfaite, attentive, discrète. Il s’avère que malgré ses efforts, les mauvais traits de son caractère reviennent et restent. Mais elle ne se décourage pas, elle relève la tête et re-choisit chaque matin le pardon et la joie.
Une nuit, elle a dormi à ses côtés. Enfin, à vrai dire, elle n’a pas beaucoup dormi. Elle a guetté. Guetté avec angoisse le moment terrible où cette respiration fluette qu’elle entendait deviendrait saccadée, ou viendrait à s’arrêter. Alors elle s’est blottie contre sa mère, tout doucement, pour ne pas la réveiller. Elle a remonté la couverture sur son corps amaigri, la faisant glisser jusqu’à son visage creusé mais apaisé. Puis elle l’a regardée en restant prête : prête à recevoir d’éventuelles angoisses à atténuer, d’éventuels cauchemars à dédramatiser, d’éventuels chagrins à consoler. Comme sa mère le faisait encore pour elle il y a quelques années. Il n’en fut rien jusqu’au petit matin.
Alors le lendemain, elle a repris ses tentatives pour servir sa mère au quotidien. Un quotidien de rires, de sourires, de désirs de se serrer fort la main. Comme pour se dire “reste un peu, on est bien”.
Et quand viendra la fin de semaine, c’est elle qui s’endormira la première. Affalée dans un canapé à côté du fauteuil de sa mère. Au tout début d’un film dont elle ne retiendra rien. Rien, sauf le regard de sa mère qu’elle se souviendra avoir vaguement croisé en ouvrant une paupière.
Veiller sur les personnes en fin de vie, c’est aussi préserver la mission qu’elles ont toujours eue.
Cette dernière observera sa fille quelques instants avant de s’éclipser. Revenant un peu plus tard, s’approchant de la jeune femme, elle déposera sur son corps frigorifié une couverture en laine qu’elle remontera jusqu’à son visage rosé mais apaisé. Et restera pour la veiller. Comme elle le faisait encore pour elle il y a quelques années.
Dans les familles où se vit une fin de vie, on voit parfois les rôles s’inverser. C’est parfois inévitable et nécessaire… Mais pas toujours souhaitable ni souhaité.
Veiller sur les personnes en fin de vie et sur leur dignité, c’est aussi veiller sur leur identité. C’est préserver la mission qu’elles ont toujours eue, c’est respecter le rôle qu’elles ont toujours endossé, c’est entretenir les relations telles qu’elles ont toujours été vécues. Sous d’autres formes peut-être, ou d’autres modalités. Mais en souvenant qu’une mère restera toujours une mère, sur terre et dans l’éternité.