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“How is he ?” (“Comment va-t-il ?”), m’a demandé ce matin-là la religieuse infirmière, nos différences de nationalité nous obligeant à dialoguer dans des langues étrangères.
“How is he ?” Une question ouverte. Très largement ouverte. Peut-être trop ouverte. Comment fournir une réponse complète, concise, et sans en perdre une miette ?
Comment était-il, lui le plus silencieux de “nos” enfants que je venais de visiter dans le service où il était hospitalisé ? Lui, si petit dans son lit pour grande personne, placé entre les nourrissons abandonnés et les adultes que la guerre avait amputés ?
J’ai répondu avec les éléments cliniques que j’ai pu observer, et les diagnostics que le médecin m’avait confiés.
Alors j’ai répondu avec les éléments cliniques que j’ai pu observer, et les diagnostics que le médecin m’avait confiés : état neurologique, état cutané, état trophique… Il va être déplacé. Dans une nouvelle unité thérapeutique, et un retour à domicile pourra bientôt être envisagé. A part cela, il a bien mangé, il a bien dormi… Et ma réponse était finie.
Et de fait, notre petit orphelin et combattant a été transféré dans une nouvelle unité où, en équipe, nous nous sommes relayés pour que, nuit et jour, quelqu’un soit présent pour le veiller. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que partager plusieurs jours et plusieurs nuits à ses côtés nous a rapprochés. Alors j’ai changé ma manière de l’observer. En mettant la clinique temporairement de côté. Pour mieux comprendre qui il était derrière son apparence, qu’est-ce qu’il exprimait malgré son silence, retrouver sous ses traits amaigris le visage de son enfance et me plonger longuement dans son regard intense.
Au bout de longues heures de contemplation, j’ai eu une comme illumination. Je ne pouvais pas manquer cette comparaison. J’aurais presque pu faire la confusion. La ressemblance m’apparaissait comme une confirmation.
Ma dernière nuit de veille prenait fin, et je retrouvais la religieuse infirmière au petit matin. “How is he ?” me demanda-t-elle avec entrain.
Je garderai en mémoire ce mystérieux dernier regard, et la conviction qu’il était habité.
“He is Jesus” (“C’est Jésus“), lui ai-je tout de suite répondu. Parce que c’est ce qui m’était spontanément venu. Parce que c’est ce qui m’était indéniablement venu. Parce que c’est ce que j’avais véritablement vu: il était Jésus.
Et pourtant, le lendemain matin, il n’était plus. Une infection généralisée, et en quelques minutes, son âme avait disparu.
Malgré la peine de ce départ et l’incompréhension de sa brutalité, je garderai en mémoire ce mystérieux dernier regard, et la conviction qu’il était habité.