Depuis le 9 décembre, une convention citoyenne planche sur la fin de vie, dans le but de réfléchir à la question suivante : “Lecadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ?”Parmi ses 185 membres tirés au sort, on apprend que l’échantillon compte “huit femmes issues de la grande précarité, contactées par le truchement d’ATD Quart Monde”. On se réjouit que ce panel qui se veut représentatif de la nation prenne en compte le point de vue des personnes les plus pauvres, si souvent ignoré. Mais on peut se demander s’il n’eût pas été juste aussi de faire figurer aussi des personnes handicapées voire lourdement handicapées. Ne risquent-elles pas fort d’être concernées de près par une évolution de la loi française sur la fin de vie ?
Plusieurs indices inquiétants
La revue Ombres & Lumière consacre son dossier central du mois de janvier à la place des personnes handicapées dans ce débat — relativement un angle mort dans le traitement médiatique jusqu’à présent. Pourtant plusieurs indices devraient alerter l’opinion sur l’impact possible d’une évolution législative sur le public porteur d’un handicap. À commencer par l’avis 139 du CCNE (comité consultatif national d’éthique), du mois de septembre dernier. Celui-là même qui considère qu’”il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir” juge que l’un des angles morts du cadre législatif actuel (loi Léonetti-Claeys de 2016) est la situation des personnes souffrant d’une maladie incurable “dont le pronostic vital est engagé à moyen terme”. Comment ne pas penser à ces maladies neuro-dégénératives comme la maladie de Charcot, ou la sclérose en plaques, marqués par un déclin irrémédiable et advenu d’une dépendance que d’aucuns jugent insupportable ? L’association des malades de Charcot, l’ARSLA, a d’ailleurs réagi vivement à l’avis du CCNE en signant un communiqué de presse intitulé “La mort n’est pas un soin”.
Dérives étrangères
Mais ce sont surtout les “exemples” étrangers qui ne manquent pas d’inquiéter. Dans les pays où l’euthanasie a été légalisée, preuve est faite que le cadre légal initial, parfois assez restrictif et assorti de conditions, a dérivé au fil des ans. En Belgique, les cas d’euthanasie pour raison de maladie psychiatrique ne manquent pas de heurter le grand public. Au Canada, la loi a considérablement évolué. La première mouture, en 2016, cantonnait le droit à l’euthanasie aux situations de fin de vie à brève échéance. La version de 2021 a fait sauter ce verrou, ce qui signifie qu’une personne physiquement handicapée ou atteinte d’une maladie chronique est désormais éligible à l’euthanasie.
Une telle évolution législative ne manquerait pas d’envoyer un message à tous ceux qui vivent dans grande fragilité, et qui parfois sont tentés de “démissionner de la vie”
On rétorquera que le droit à l’euthanasie ne force personne à la demander, et qu’il ne s’agit pas de pousser les personnes handicapées au suicide. Il n’empêche : une telle évolution législative ne manquerait pas d’envoyer un message à tous ceux qui vivent dans grande fragilité, et qui parfois sont tentés de “démissionner de la vie”, selon les mots d’une proche de la Fondation OCH en fauteuil roulant. Tous ceux-là attendent bien plutôt qu’on leur dise — en mots et en actes — qu’on tient à eux et que leur vie a de la valeur quelles que soient leurs limites. Il en va de notre commune humanité !