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Au moment de la disparition du pape émérite Benoît XVI, on peut mesurer son apport considérable à la doctrine sociale de l’Église. Cet apport passe par une multitude de discours, sermons, textes divers, mais il est avant tout visible dans sa grande encyclique sociale de 2009, Caritas in Veritate (CV). Cet apport n’est en aucun cas une rupture : il se situe dans la ligne de ses prédécesseurs, de Léon XIII à Jean Paul II, car “il n’y a pas deux typologies différentes de doctrine sociale, l’une préconciliaire et l’autre postconciliaire, mais un unique enseignement, cohérent et en même temps toujours nouveau” (CV, 12).
Une question anthropologique
Benoît XVI parachève l’élargissement du domaine de la doctrine sociale à l’homme tout entier, dans toutes ses dimensions, car “la question sociale est devenue radicalement une question anthropologique” (CV, 75). Cela signifie qu’elle englobe non seulement les questions matérielles, économiques et sociales, mais aussi tout ce qui concerne le respect de la vie et, bien entendu, la dimension spirituelle de l’homme, dans une optique de développement intégral. On ne peut plus découper “à la carte” l’enseignement social de l’Église, suivant sa sensibilité, mais cet enseignement forme un tout cohérent, englobant les questions matérielles et spirituelles, les conditions de vie comme le respect de la vie.
La vie sociale ne repose pas seulement sur la loi ou le contrat, mais aussi sur l’amour gratuit.
Le thème, tellement débattu aujourd’hui, de l’écologie est abordé avec sagesse et équilibre, car il ne faut ni “considérer la nature comme une réalité intouchable” ni “en abuser” : “Ces deux attitudes ne sont pas conformes à la vision chrétienne de la nature, fruit de la création de Dieu” (CV, 48). Il faut donc ne pas détruire inconsidérément la nature, il faut respecter l’environnement, mais jamais au détriment de l’homme, car “considérer la nature comme plus importante que la personne humaine elle-même est contraire au véritable développement”.
Entre justice et charité
Chaque domaine de l’action humaine a sa logique propre : le marché, l’État, la société civile. Le marché, l’économie, c’est “la logique de l’échange”, du “donner pour avoir”. L’État, la politique, l’action publique, c’est le domaine de la loi et la logique du “donner par devoir”. Quant à la société civile, aux familles, aux associations, aux religions, etc., c’est le domaine de “l’agir gratuit” (CV, 39). Cette éthique, cet agir gratuit, qui se forge dans la société civile, doit aussi irriguer la vie politique comme la vie économique. Il ne faut donc pas que la société soit dominée par les seules questions politiques et économiques, mais qu’elle laisse toute sa place à la société civile, afin que la vie sociale ne repose pas seulement sur la loi ou le contrat, mais aussi sur l’amour gratuit.
Benoît XVI éclaircit le débat entre justice et charité. “La charité dépasse la justice, parce qu’aimer, c’est donner, offrir du mien à l’autre ; mais elle n’existe jamais sans la justice qui amène à donner à l’autre ce qui est sien, c’est-à-dire ce qui lui revient en raison de son être et de son agir. Je n’ai pas à donner à l’autre du mien, sans lui avoir donné tout d’abord ce qui lui revient selon la justice” (CV, 6). Il faut donc d’abord être équitable en matière économique, ce qui reprend les thèmes traditionnels du juste prix ou du juste salaire, par lesquels on ne fait que rendre à l’autre ce qui lui est dû. Quant à la charité, elle consiste donc à donner à l’autre ce qui est mien, donc ce qui m’appartient légitimement : on n’est donc pas dans une vision idéologique de contestation de la propriété ou de lutte des classes, mais dans une logique de devoir moral de ceux qui ont plus vis-à-vis des plus démunis.
La morale au cœur de la question
La vie économique et sociale doit reposer sur la subsidiarité et la solidarité. Benoît XVI affirme que le principe de subsidiarité, “expression de l’inaliénable liberté humaine” (CV, 57) “doit être étroitement lié au principe de solidarité et vice-versa, car si la subsidiarité sans la solidarité tombe dans le particularisme, il est également vrai que la solidarité sans la subsidiarité tombe dans l’assistanat qui humilie celui qui est dans le besoin” (CV, 58).
Faire des réformes est indispensable, mais, sans hommes justes, il n’y aura pas de société juste.
C’est aussi une véritable leçon d’éthique économique que délivre Benoît XVI, rappelant les conditions du bon fonctionnement du marché, de l’entreprise, du profit ou de la mondialisation. Mais, au-delà de toutes les réformes de structure, nécessaires dans tous ces domaines, il rappelle qu’en dernier ressort, c’est la morale qui est au cœur de la question : “Ainsi peut-on arriver à transformer des instruments bons en eux-mêmes en instruments nuisibles, mais c’est la raison obscurcie de l’homme qui produit ces conséquences, non l’instrument lui-même. C’est pourquoi, ce n’est pas l’instrument qui doit être mis en cause, mais l’homme, sa conscience morale et sa responsabilité personnelle et sociale” CV, 36). Faire des réformes est indispensable, mais, sans hommes justes, il n’y aura pas de société juste. C’est un appel à la liberté responsable de l’homme. Cet enseignement s’adresse, comme l’indique l’encyclique, “à tous les hommes de bonne volonté”, car il ne repose pas seulement sur la foi, mais aussi sur la raison. Bien entendu, le pape était pleinement dans sa mission quand il ajoutait que “le développement authentique de l’homme concerne unitairement la totalité de la personne dans chacune de ses dimensions […]. Un tel développement demande, en outre, une dimension transcendante de la personne” (CV, 11).
Pratique :