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Capitalisme “woke” : sortir du débat idéologique

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Bertrand Badré - publié le 11/01/23

L’engagement excessif de certaines entreprises pour des causes idéologiques ne doit pas faire oublier la responsabilité sociale du monde du travail. Pour le chef d’entreprise Bertrand Badré, la priorité est bien de transformer nos économies.

La confusion des esprits est extrême. On parle maintenant de “capitalisme woke“, c’est-à-dire d’un capitalisme qui aurait d’une certaine manière perdu ses esprits. Qui se préoccuperait de vouloir transformer la société en ligne avec les débats qui agitent celles-ci par ailleurs. Et non plus de transformer et améliorer l’économie. Il s’agirait d’oublier les fondamentaux de ce capitalisme, c’est-à-dire la maximisation du profit. Pour consacrer plus de temps, plus d’intelligence, plus d’énergie, plus d’argent à s’occuper de sujets qui lui sont étrangers comme les minorités, l’environnement, les inégalités, ou le bien-être de telle ou telle catégorie par exemple. 

De véritables guerres idéologiques

Les débats font, en particulier, rage aux États-Unis. Pour prendre des exemples récents, des États comme la Floride et le Texas ont récemment exclu de travailler avec Blackrock, ou BNP Paribas au seul Texas, au motif que ces entreprises seraient trop vertes. Le Parti républicain, par ailleurs déchiré sur bien des sujets, a fait de la lutte contre ce capitalisme woke un fer de lance de ses combats politiques. Attaquant d’ailleurs parfois frontalement de grandes entreprises au motif de leurs engagements sociétaux inadaptés. Et en décalage avec le combat économique, par exemple avec la Chine. 

Le Parti républicain, jusque-là allié traditionnel du “Big business” aux États-Unis se retrouve en porte-à-faux avec ses soutiens traditionnels et notamment l’American Chamber of commerce (l’équivalent du MEDEF aux États-Unis). Tout cela fait-il sens ? Que doit-on retirer de ces événements, de ces combats, de ces luttes qui touchent apparemment à l’essence même du capitalisme. Il y a plusieurs sujets derrière ce combat qui prend des allures de véritable guerre idéologique. J’en mettrai en avant trois. 

La responsabilité sociale de l’entreprise

Le premier est le risque de ce que l’on appelle communément le “greenwashing”. Finalement, l’exercice ne serait qu’un exercice de communication et de relations publiques. Et serait plus inoffensif où inopérant qu’autre chose, mais dangereux puisqu’il créerait des attentes artificielles qui ne sauraient être satisfaites pour l’opinion qui pourrait à terme se sentir trompée ou flouée et se retourner contre un capitalisme menteur 

Le deuxième sujet est celui du rôle de l’entreprise. Il force à se poser la question de ce que sont les responsabilités de celle-ci dans le monde d’aujourd’hui. Où commencent-t-elles ou s’arrêtent-elles ? Je ne crois pas que la question soit simple à poser. Je ne crois pas non plus qu’il soit facile d’y répondre. On le voit de plus en plus, les entreprises sont sommées de prendre part au débat public et ce débat public tourne très fréquemment autour de sujets de société complexes et souvent fluides. C’est encore une fois particulièrement vrai aux États-Unis, mais pas seulement. On l’a vu au moment des débats sur “Black lives matter”. On l’a vu au moment des débat sur l’avortement. On l’a vu au moment des débats sur l’éducation du genre, avec notamment les positions prises par la Floride et la réponse hostile de Disney, privé en réponse de ses avantages fiscaux considérables. 

Les débats peuvent être d’autant plus rugueux que les entreprises restent ou redeviennent un des lieux de l’espérance collective.

Aux États-Unis par exemple, mais pas seulement, les entreprises sont attendues au tournant. Par leurs clients. Comme par leurs équipes. Les débats peuvent être d’autant plus rugueux que les entreprises restent ou redeviennent un des lieux de l’espérance collective. Cette question est difficile, elle va nous occuper longtemps. Elle revient en France au débat sur la raison d’être en particulier et plus généralement au débat sur la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). Ce débat ne fait que commencer. Il est important de le poser sur de bonnes bases. Et comme chef d’entreprise, comme certains d’entre vous, lecteurs, je me pose des questions tous les jours à propos de jusqu’où je peux aller, quelles sont les valeurs que je dois défendre, comment peuvent-elles ou non être partagées ou s’imposer à mon écosystème ? Cette question est importante. Elle doit être tranchée en vérité et en transparence. 

Les engagements internationaux

Et puis derrière ces questions, du “greenwashing”, d’une part et de l’engagement sociétal, d’autre part, se pose la troisième question, celle des engagements que nous avons collectivement pris il y a sept ans autour du climat et autour des objectifs de développement durable. Ce sont les accords de Paris de décembre 2015 et les accords de New York de septembre de la même année. Nous sommes engagés avec tous les États de la planète à nous transformer et à transformer nos économies en une économie qui soit durable, résiliente et inclusive. Nous avons adopté une feuille de route très ambitieuse pour l’économie mondiale du XXIe siècle. Et cette feuille de route nécessite une adaptation des entreprises.

C’est pour cela qu’il ne faut pas derrière ce débat sur le capitalisme woke, tout mélanger : au cœur est la question des engagements qui s’alignent sur ceux pris universellement il y a 7 ans. Les engagements sur le climat, les engagements sur la biodiversité et toute une série d’engagements sur l’accès à la santé, à l’éducation, à l’eau, sur l’éradication de la pauvreté, sur la réduction des inégalités, sur les inégalités hommes-femmes, etc. Ce sont les 17 objectifs du développement durable. Nous ne pouvons pas faire abstraction de ces engagements. Nous sommes liés et si nous sommes sérieux, nous devons avancer dans cette direction. Il ne faudrait donc pas au motif d’un capitalisme qui soit jugé woke et dangereux jeter le bébé avec l’eau du bain. Il faut bien donc poser, d’une part, les limites de ce que nous souhaitons faire à titre individuel dans nos entreprises, et, d’autre part, ce qui est lié aux engagements que nous avons pris collectivement pour reposer l’économie mondiale sur des bases solides. C’est bien ce débat qu’il faut trancher. 

Il s’agit bien de travailler ensemble à la mise en œuvre de la feuille de route que nous avons acceptée.

Transformer nos économies

En vérité, ce débat a été éclairé notamment par deux textes du pape François, Fratelli tutti, le plus récent, et Laudato si’, le plus ancien. Ils nous rappellent les exigences de fraternité et les exigences que nous imposent la bonne gestion de cette planète dont nous sommes dépositaires. C’est bien là qu’il nous faut sortir de la confusion, sortir du débat idéologique, sortir de l’instrumentalisation de ces concepts pour remettre un peu de calme et d’ordre dans nos esprits. Il s’agit bien de travailler ensemble à la mise en œuvre de la feuille de route que nous avons acceptée. Cela va évidemment poser un certain nombre de difficultés. Certaines seront délicates, mais je ne crois pas qu’il faille s’embarquer dans un débat qui nous entraînerait trop loin et qui, d’une certaine manière, nous ferait lâcher la proie pour l’ombre. 

La proie, c’est bien transformer nos économies. L’ombre, c’est s’agiter sur les débats sociétaux qui restent compliqués, propres à chacun de nos pays et sur lesquels, en tant que citoyen, nous pouvons librement nous positionner mais ne discriminons pas l’ensemble du système au motif de tel ou tel excès. Au motif de telle ou telle tromperie. L’enjeu est trop important pour que nous nous amusions à cela. C’est bien cette feuille de route qu’il nous faut ensemble, non seulement conforter, mais mettre en œuvre. Si nous ne le faisons pas la déception sera absolument colossale. Et le risque que se réveille (woke) la colère aussi.

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