“Que de souillures dans l’Église, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement !” Le 25 mars 2005, sur les pentes du Colisée, résonne cette exclamation lors des méditations du Chemin de croix du Vendredi saint. L’auteur en est le cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Quelques semaines plus tard, il est élu 265e pape pour succéder à Jean Paul II. Et l’Église, trois ans après le scandale de l’archidiocèse de Boston, va voir la tempête des abus sexuels se déchaîner sous son pontificat. Avec le recul de l’histoire, cette phrase fera dire à beaucoup que le pontife allemand visait les crimes dont il avait connaissance dans les dossiers de la CDF.
Nommé à la tête de la puissante congrégation en 1981, le cardinal Ratzinger est à l’origine d’une importante réforme en matière de traitement des cas d’abus : pour s’assurer de procès rigoureux, il fit transférer en 2001 la compétence juridique pour les accusations d’abus sexuels de mineurs émises contre des clercs, à la CDF, par le motu proprio Sacramentorum Sanctitatis Tutela de Jean Paul II.
Selon un expert proche du Vatican, il s’agit de “la meilleure solution jusqu’à aujourd’hui – ce qui ne veut pas dire que c’est la meilleure solution dans l’absolu – pour donner la plus grande garantie possible d’équité et d’objectivité à ces procès”. Cette réforme de Ratzinger donnait “un signe très clair qu’il s’agissait de quelque chose de sérieux qu’on ne pouvait pas chercher à cacher”, insiste-t-il. Elle évitait aussi l’ensablement des dossiers au sein de dicastères pour le clergé, les évêques, les religieux, les Églises orientales, comme cela avait pu arriver par le passé.
Toujours comme préfet, c’est Joseph Ratzinger qui fit nommer Mgr Charles Scicluna – un homme-clé de la lutte contre les abus dans l’Église – comme promoteur de Justice, le plus haut magistrat pour le traitement de ces cas. De 2001 à 2012, sous impulsion de Benoît XVI, le Maltais travailla d’arrache-pied pour instaurer une politique stricte.
Ses actions comme Pape
Durant son pontificat (2005-2013), la première loi Sacramentorum sanctitatis tutela, qui donnait le cadre principal, a été élargie et consolidée. Cependant elle ne considérait encore que les abus sexuels sur mineurs. Il faudra attendre 2019 et le pontificat suivant pour que d’autres types d’abus, et ceux commis contre des personnes adultes vulnérables, soient pris en compte.
La lettre de Benoît XVI aux catholiques d’Irlande en mars 2010 est aussi considérée comme un document important. Le pontife répondait à la situation de crise du pays en proposant “un début de réflexion théologique sur ce phénomène, et non plus seulement psychologique ou canonique ou juridique”, analyse l’expert.
En mai 2011, après l’explosion des cas en Allemagne et ailleurs, la congrégation pour la Doctrine de la foi, à la demande de Benoît XVI, écrivit à toutes les conférences épiscopales du monde, demandant qu’elles se dotent d’un texte de ligne-guide sur le traitement des cas, pour la date de juin 2012.
En février 2012, le Center for Child Protection de la Grégorienne organise le premier symposium mondial sur cette thématique, avec l’appui du Saint-Siège et la présence des plus hauts prélats des dicastères de la Curie, ainsi qu’un message du Pape.
Les lacunes de son pontificat
Benoît XVI avait “plus conscience de ce problème” que son prédécesseur, souligne le spécialiste de ces questions. Il est aussi le premier pape qui a rencontré personnellement des victimes d’abus, et ce à six reprises. D’abord à Washington, en avril 2008, puis à Sydney en juillet de la même année, au Vatican en avril 2009, à La Valette en avril 2010, à Londres en septembre 2010 et puis à Erfurt en 2011. Cette dernière rencontre en Allemagne l’avait frappé au point de verser des larmes.
J’ai eu de grandes responsabilités dans l’Église catholique. Ma douleur est d’autant plus grande pour les abus et les erreurs qui se sont produits au cours de mon mandat en différents lieux.
Mais selon l’expert consulté par I.MEDIA, il n’est pas allé “jusqu’au bout” de la réflexion. Ratzinger avait en effet “l’image d’une Église très surnaturelle, et d’un prêtre très spiritualisé… un idéal non-humain”. Ainsi il n’aurait pas selon lui donné la priorité à la protection des personnes blessées mais à celle de l’Église et des prêtres, avec une vision “d’un sacerdoce comme forteresse contre la société actuelle”.
Dans la gestion du dossier Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ reconnu coupable d’abus, Joesph Ratzinger comme préfet de la CDF n’a pu faire avancer le procès comme il l’aurait souhaité, l’abuseur étant protégé en secrétairerie d’État. À peine élu Pape, il conclut l’affaire par une condamnation – cependant relativement légère, considérant peut-être que Marcial Maciel était en fin de vie.
Autre ombre au tableau : à la fin de son pontificat, Benoît XVI finit par céder aux opposants de Mgr Scicluna, acceptant de l’éloigner du Vatican en le nommant évêque auxiliaire à Malte. Une faiblesse qui fut réparée par François, qui rappellera le prélat pour poursuivre cette lutte.
La conscience de Benoît XVI sur ces sujets a grandi à Rome, et non pas lorsqu’il était jeune archevêque en Allemagne, note encore l’expert, faisant allusion au rapport de Munich paru en 2022. Dans ce dernier, Benoît XVI était accusé “de comportement fautif” dans la gestion de quatre cas d’abus sexuels commis par des prêtres lorsqu’il était archevêque.
Contestant ces accusations, le pape émérite avait toutefois tenu à exprimer à l’égard de toutes les victimes d’abus sexuels sa “profonde honte”, sa “grande douleur” et sa “demande sincère de pardon”.
Il avait aussi fait cette confession : “J’ai eu de grandes responsabilités dans l’Église catholique. Ma douleur est d’autant plus grande pour les abus et les erreurs qui se sont produits au cours de mon mandat en différents lieux. Chaque cas d’abus sexuel est terrible et irréparable.”