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Garçons ou filles, les enfants de la noblesse ne sont pas élevés avec douceur ; leurs éducateurs cherchent à développer chez eux les vertus chrétiennes et le courage. Née à Barsac en Guyenne le 1er novembre 1754, Marie-Thérèse apprend tôt que, chez les Lamourous, de vieille souche chevaleresque, l’on n’a peur de rien, sinon de déplaire à Dieu ; et, si jamais les enfants sont confrontés à une situation qui les effraie, l’affronter est la seule solution honorable qui s’offre à eux. Cette certitude conduira la fillette à une bévue comique.
La scène se passe vers 1760, au château familial, parmi les vignes du Médoc. L’été est glorieux. Les Lamourous, qui ont l’hospitalité large, reçoivent de nombreux amis, et des hôtes de passage, souvent des hommes d’Église car, en ce XVIIIe siècle, la famille reste étrangère à l’esprit des Lumières et fidèle au catholicisme. Écrasée par la chaleur, la maisonnée fait la sieste. Hormis Marie-Thérèse, âgée de 5 ans. La petite, qui s’ennuie, erre dans les couloirs, en quête d’un amusement. Et voilà qu’en entrant dans l’un des petits salons, elle se fige : là, dans la pièce familière aux volets tirés, sur l’un des sofas, une bête monstrueuse, énorme, poilue, est étendue ; de cette créature émanent des bruits étranges, tonitruants… Une autre enfant prendrait la fuite, mais une Lamourous ne fuit pas devant le péril. N’écoutant que son courage, la petite s’avance, s’approche de l’animal inconnu, se jette sur lui, l’empoignant par l’épaisse crinière qui entoure son terrible museau ! Un cri d’effroi et de douleur échappe à sa victime ! En fait de monstre, il s’agit d’un vénérable Père capucin, de passage au château, qui fait la sieste en ronflant comme un sonneur, et ne comprend pas qui s’accroche ainsi à sa longue barbe ! Ce sera la seule fois de sa vie où Mlle de Lamourous attentera à la dignité du sacerdoce !
Une idée audacieuse
À l’adolescence, elle veut entrer au carmel. Chez les Lamourous, l’on ne se donne pas à moitié ! Son directeur de conscience la fait atermoyer, car “Dieu ne la veut pas dans un cloître”. Au vrai, il n’imagine pas cette amazone intrépide enfermée dans un couvent. À l’approche de la trentaine, elle renonce à ce rêve. Il n’est plus temps, selon les usages de l’époque, de penser au mariage ; d’ailleurs, elle n’en a nullement envie et garde la certitude de sa vocation religieuse. Laquelle ? Elle n’en sait rien, mais, en attendant de le comprendre, mène à Bordeaux sa vie de célibataire fortunée, donnée à la prière et aux œuvres charitables, connue du clergé de la région pour ses engagements et son dévouement. La Révolution et la persécution religieuse l’arrachent à cette existence. Les prêtres de ses relations, son directeur de conscience, ont refusé le serment à la constitution civile du clergé, schismatique. Ils sont passés dans la clandestinité. Cela peut leur coûter très cher : la déportation, d’abord, puis, tandis que grandit la violence révolutionnaire, l’échafaud. Les laïcs qui les aident sont passibles de la peine de mort. Marie-Thérèse le sait, et s’en moque. Le martyre l’attire plus qu’il ne l’effraie, comme une garantie d’aller au Ciel.
Pour se rendre mieux utile à ses amis et à la religion, elle a l’idée, audacieuse, qui l’expose de surcroît au mépris de son milieu, de feindre pour la Révolution des sympathies qu’elle n’éprouve pas et s’introduit ainsi chez les dirigeants républicains de la Gironde, flattés du ralliement de cette femme de la meilleure noblesse qui semble si passionnée par leurs idéaux… En fait, au cours de ces visites, Mademoiselle de Lamourous, traitée en intime par les révolutionnaires qui parlent devant elle en confiance, glane une foule de renseignements sur leurs projets, leurs intentions, les arrestations envisagées. On prétend qu’elle réussira, plusieurs fois, à rafler les listes des personnes sur le point d’être arrêtées, et à les prévenir.
Les martyrs du Directoire
À côté de ces compromissions publiques avec les gens au pouvoir, la jeune femme mène une autre existence, dangereuse. Non contente d’enseigner le catéchisme, organiser réunions de prière, confessions, messes secrètes, répandre la dévotion à l’Eucharistie et au Sacré Cœur, tenus pour les deux grands remèdes offerts par le Ciel pour sauver la France, elle sert de couverture aux prêtres réfractaires bordelais. Habillée en femme du peuple, elle les accompagne dans leurs pérégrinations dangereuses, quand ils vont porter les sacrements aux agonisants, la vue du faux couple désarmant les méfiances des autorités. Cela n’empêche pas son directeur de conscience de se faire arrêter, un jour qu’elle n’est pas avec lui. Il est guillotiné. Avant de marcher au supplice, il confie à un ami son immense admiration pour Mademoiselle de Lamourous, “qui sert Dieu comme un homme, non comme une femme”.
Elle appréciera le compliment. La voilà, hélas, sans directeur de conscience. La Providence met sur sa route le père Guillaume-Joseph Chaminade, qui prend la place du défunt. Elle lui rend les mêmes services, devient la confidente de ses projets de fondation d’une œuvre mariale qui travaillera à rechristianiser la France. L’exil du prêtre en Espagne n’arrête pas leur amitié complice, puisqu’ils échangent de nombreuses lettres. Plus hypocrite que celle de Robespierre, la persécution religieuse du Directoire fait pourtant son lot de martyrs et de déportés, souvent oubliés de la postérité. Seule la prise du pouvoir par Bonaparte en 1799 y mettra un terme définitif. De nombreux prêtres en sont victimes, pour avoir cru trop tôt à l’apaisement, pour avoir perdu les habitudes de la clandestinité. Insidieusement, la politique du Directoire désagrège davantage l’Église réfractaire que la grande tentative de déchristianisation de 1793-94.
Le retour du père Chaminade
Obligée de quitter Bordeaux, car une nouvelle législation interdit la résidence des ci-devant nobles, supposés ennemis du régime et acquis aux intérêts des puissances étrangères dans les ports, Marie-Thérèse se retire dans sa propriété du Médoc, où elle organise, faute de prêtre, des “messes blanches”, simple lecture de la messe sans Eucharistie. L’on peut douter, malgré ce que l’on raconte, qu’elle s’arroge le droit de “confesser” ses relations, pratique rarissime réservée jadis à des situations d’extrême urgence, quand un mourant ne pouvait recevoir l’absolution, sous condition d’aller redire ses fautes à un prêtre.
L’apaisement religieux permet à Guillaume-Joseph Chaminade de regagner Bordeaux. Aussitôt, Marie-Thérèse lui reparle de sa vocation religieuse, de son désir de la suivre enfin. Si l’on songe que la persécution a détruit toutes les congrégations et qu’il faudra des décennies pour que la vie consacrée se relève en France, le projet est fort prématuré. Le père Chaminade freine des quatre fers. Certes, il songe plus que jamais à sa Société de Marie mais ne se voit pas entraîner cette femme de 46 ans, au caractère forgé dans les épreuves et les périls, plus habituée à mener ses affaires à sa guise qu’à obéir, dans l’aventure. Il lui préférera une autre de ses dirigées, Adèle de Batz. Il est délicat de le dire si crûment et, diplomate, il l’invite “à attendre un signe déterminant”, qui ne vient pas…
Le refuge de la Miséricorde
Marie-Thérèse, qui voit les années s’envoler, commence à craindre, elle qui ne craint rien, de ne jamais atteindre l’état auquel elle se pense toujours appelée. Elle se plaint au père Chaminade que Dieu veut “l’embarquer sur un vaisseau sans avirons”. Autrement dit, la mettre dans l’impossibilité d’en faire à son bon plaisir et de décider. Elle doit céder les rênes à un Autre, choix pénible pour elle. Le père Chaminade se montre bon guide en ce domaine : sa dirigée doit parvenir au “saint abandon” et s’en remettre entièrement à la bonté divine.
Quand il la voit progresser dans cette voie, Guillaume-Joseph lui laisse entrevoir un apostolat “auprès de personnes exposées à perdre l’éternité bienheureuse en perdant leur honneur ici-bas”. Mademoiselle de Lamourous, chaste au point de changer de trottoir si elle croise une prostituée dans la rue, ne comprend pas, ou le feint… Elle n’ignore pas qu’en cette année 1800, son amie Jeanne de Pichon-Longueville, qui, avant la Révolution, se dévouait aux filles perdues, a, avec l’aide du père Chaminade, rouvert pour elles un asile à Bordeaux. Débordée par le nombre de malheureuses qui frappent à sa porte, Madame de Pichon-Longueville a déjà réclamé l’aide de son amie, et s’est heurtée à un refus indigné, avant que, par charité, Mademoiselle de Lamourous aille voir ce refuge. Quelques semaines plus tard, en 1801, elle déclarera à l’issue d’une nouvelle visite : “Bonsoir, je reste !” Désormais, et jusqu’à sa mort, en 1836, sa destinée et celle du refuge de la Miséricorde de Bordeaux seront indissociablement liées. C’est auprès des filles perdues qu’elle se sanctifiera. Marie-Thérèse de Lamourous a été déclarée vénérable en 1989.