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La popularité de certains saints, et ce quels que soient leurs mérites, varie en fonction des lieux, des époques, des sensibilités, des préoccupations. Les uns s’effacent, d’autres s’imposent ; la réputation de celui-ci est universelle, quand le nom de tel autre est à peine connu en dehors de son pays. Le grand nombre de canonisations et béatifications de la seconde moitié du XXe siècle et des commencements du XXIe fait que l’on n’a pas le temps de s’intéresser à tous ces nouveaux arrivés au martyrologe : nous ne savons pas trop de qui il peut bien s’agir. C’est un peu le cas, du moins en France, de Vincenzo Pallotti.
S’il jouit d’une célébrité méritée dans son Italie natale, en Angleterre et sur le continent américain où ses fondations se sont implantées, il est chez nous un quasi inconnu. Ce prêtre romain, continuateur à sa manière de Philippe Néri ou de Vincent de Paul, incarne pourtant admirablement ce que peut être la grande tradition de l’Église quand elle se projette dans l’avenir et cherche des solutions aux besoins de son époque.
La place importante conférée aux laïcs
Vincenzo Pallotti naît à Rome le 21 avril 1795, troisième enfant d’une fratrie de dix, dans une famille aisée et pieuse. Mais si les Pallotti restent des catholiques fervents, le jeune Vincenzo se rend vite compte que les idées révolutionnaires font leur chemin dans le petit peuple romain où s’altèrent le respect dû au souverain pontife et aux commandements divins, la foi et la pratique religieuse. L’occupation napoléonienne et l’exil de Pie VII ont accéléré un phénomène amorcé au XVIIIe siècle, de sorte que Rome et l’Italie sont à leur tour menacées par la déchristianisation. Partout en Europe, et d’abord en France, où le mouvement s’est amorcé en pleine Terreur, des catholiques s’organisent et se réunissent en groupements, clandestins tant que dure la persécution religieuse, puis officiels, qui, sous diverses appellations veulent expier les crimes révolutionnaires et rechristianiser la société. L’une des particularités de ces organisations est la place importante conférée aux laïcs, la liberté d’action dont ils bénéficient.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’Église où de tels courants se sont manifestés dès l’Antiquité mais, à la suite de dérives plus ou moins dangereuses pour la foi et les mœurs, la hiérarchie ecclésiastique a fait en sorte de limiter ces entreprises ou, au moins, de les encadrer de près, avant, souvent, d’aboutir à la création de nouveaux ordres religieux. Et, quand ce n’est pas le clergé qui s’en charge, c’est le pouvoir, tel Louis XIV éradiquant la Compagnie du Saint Sacrement, injustement caricaturée par Molière dans Tartuffe. La différence, en ce début du XIXe siècle, tient à la perte d’influence du clergé et à la crise des vocations post-révolutionnaires qui rend nécessaire le recours au laïcat. Vincenzo Pallotti le comprendra.
La solution par la charité
Il a dix ans quand il entend l’appel de Dieu au sacerdoce. Il s’y prépare par des austérités qui ne sont pas de son âge, des pénitences, des jeûnes. Ses camarades lui attribuent un don de prophétie comme le jour où il assène à un jeune aristocrate lombard de son âge, Gian-Maria Mastaï Ferretti, blessé d’un insuccès, que Dieu a d’autres vues sur lui et qu’il sera pape ; il régnera en effet sous le nom de Pie IX. Au terme d’excellentes études, l’abbé Pallotti est ordonné prêtre le 16 mai 1818 et décroche dans la foulée un doctorat en théologie qui lui vaut une chaire dans une université pontificale. Sa carrière semble toute tracée, vouée au travail intellectuel et à l’enseignement.
Il n’en sera rien. S’il enseigne quelques temps, prêche avec succès, est un directeur de conscience et un confesseur apprécié, propage avec ferveur la dévotion au Précieux Sang, est à l’origine d’une “ligue antidémoniaque” qui récupère et détruit “les objets scandaleux et malhonnêtes”, l’abbé Palloti ne trouve pas, dans ces occupations, sa véritable voie. Cependant, elles le mettent en contact avec des personnes de tous milieux. Il fréquente la fine fleur de la noblesse pontificale, la bourgeoisie d’affaires, les commerçants, le clergé, se fait partout des amis. Confronté à la misère d’un petit peuple romain agité par les courants révolutionnaires et unificateurs qui accusent la papauté de maintenir ses sujets dans l’ignorance et l’indigence afin de conserver son emprise sur eux, Pallotti pense que la solution de ce problème politique passe par la charité, non par la répression. Il faut aider matériellement ces gens, puis les éduquer pour les ramener à Dieu. Lui qui s’est donné pour devise “la charité du Christ nous presse”, se fixe pour but une nouvelle évangélisation, une annonce de la Bonne Nouvelle pour tous et par tous. Autrement dit, et c’est l’aspect prémonitoire de son œuvre, chaque catholique doit s’engager dans cette mission, qu’il soit clerc ou laïc, homme ou femme. Cette diversité permettra d’entrer partout.
La détresse des émigrants
Ses premières tentatives pour attirer bonnes volontés et appuis laïcs, au début des années 1830, ne rencontrent pas le succès espéré. Un ami sur lequel il compte, Salvati, riche commerçant, se dérobe. Jusqu’au jour où Camilla, sa fille adolescente, tombe très gravement malade. Pallotti lui promet sa guérison, s’il accepte de s’engager avec lui. Salvati consent, Camilla guérit. Dès lors, il sera le meilleur soutien de Vincenzo. En 1835 est fondée la Pieuse Société des Missions qui deviendra la Société d’apostolat catholique, œuvre de “restauration chrétienne pour le salut des âmes et la destruction du péché”, suivie, en 1838, d’une branche féminine, les Sœurs de l’Apostolat catholique. Avec pour mot d’ordre : “Tous apôtres”, ceux que l’on surnomme Pallottins vont rappeler que l’annonce de l’évangile n’est pas réservée aux prêtres. Et cela avec la bénédiction du pape puisqu’en 1844, Grégoire XVI, reconnaissant le travail accompli, confie à l’abbé Pallotti l’église romaine de San Salvatore in Onda.
Cette mission ne suffit bientôt plus à Vincenzo. Des relations ont attiré son attention sur une détresse encore méconnue : celle des émigrants italiens. De nombreux Italiens, ne trouvant pas de quoi vivre chez eux, se résignent, au mitan du XIXe siècle, à quitter la péninsule. Avant les grands départs, temporaires ou définitifs, vers les États-Unis ou l’Argentine, ils gagnent la France ou la Grande-Bretagne. La première destination reste, malgré tout, terre catholique où des prêtres socialement engagés, tel Henri Planchat, se dévouent pour ces ouvriers déracinés souvent en rupture avec la religion et qui ne font plus baptiser des enfants nés hors mariage. La situation est bien pis en Angleterre, où s’amorce, autour de Newman, une renaissance du catholicisme. Ce sont ces catholiques anglais qui attirent l’attention de Pallotti sur le sort de ses compatriotes spirituellement abandonnés. Aussitôt, Vincenzo prend des mesures pour envoyer ces fils à Londres, d’où ils partiront ensuite vers New York.
Le rapprochement avec les frères séparés
Grâce à cette installation, Pallotti tisse des liens, non seulement avec les catholiques anglais, mais aussi et surtout avec l’épiscopat anglican, œuvrant ainsi, après des siècles de discorde, à un rapprochement. Car c’est là l’autre charisme de ce prêtre en avance sur son temps : travailler au rapprochement de l’Église et des frères séparés. Bien avant de s’intéresser à l’anglicanisme, les premiers efforts œcuméniques de Vincenzo se sont portés vers les orthodoxes et les Églises orientales. Dans l’idée d’amorcer ainsi un dialogue, il obtient, en 1836, le droit de solenniser l’octave de l’Épiphanie, afin de s’associer à l’allégresse des chrétiens qui célèbrent la Noël orthodoxe.
Vincenzo Pallotti ne verra pas, sur cette terre, l’épanouissement de son œuvre, ni l’adoption par Rome de ses intuitions visionnaires. En janvier 1850, il prend froid en prêchant une mission dans une église humide. Probablement souffre-t-il depuis longtemps d’une tuberculose. Quelques jours suffisent pour achever un organisme qu’il n’a jamais voulu ménager. Vincenzo Pallotti s’éteint le 22, fête de son saint patron, le martyr Vincent de Saragosse. Il n’a pas 50 ans. L’avenir fera de lui l’un des inspirateurs de l’Action catholique et du dialogue interreligieux. Cent ans jour pour jour après son décès, il est béatifié par Pie XII ; Jean XXIII le canonisera en plein concile Vatican II, le 20 janvier 1963.