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À celui qui tombe sur France Inter en allumant la radio, il faut une bonne dose d’optimisme pour garder en tête la maxime chère à Claudel : « Le pire n’est pas toujours sûr. » Entre les clichés anticléricaux à gros débits et les prises de parole n’offrant, en guise de diversité des points de vue, que cinquante nuances de woke (si l’invitée ne brandit pas d’emblée son certificat de vertu de sorcière écoféministe, la seule incertitude consiste à savoir si elle est plus féministe qu’écologiste ou plus écologiste que féministe), on peine à trouver une voix discordante dans ce « service public ». Parfois, pourtant, une vérité se glisse dans le programme au détour d’une remarque inattendue. Généralement gênés que leur invité ne se contente pas comme prévu de communier dans le bain tiède de leur islamo-gauchisme ricanant, les animateurs des émissions dites de “divertissement” (mot que même Blaise Pascal trouverait encore trop flatteur) tentent de faire diversion : il ne faudrait tout de même pas qu’une bribe de vérité vienne empêcher de ruminer en paix les caricatures établies. On est là pour s’amuser, surtout pas pour apprendre quelque chose.
L’hymne à Jean-Baptiste
“Le pire n’est pas toujours sûr”, telle était la formule qui venait à l’esprit en entendant tout récemment le compositeur André Manoukian expliquer à une bien-nommée “bande”, mais malnommée “originale”, d’où venaient les noms des notes de musique, le 18 janvier 2023. “Cela vient des moines”, commence-t-il, provoquant un “ah bon !”, aussi inquiet que stupéfait. Les moines, pour l’animateur en chef, sont manifestement au mieux des gros chauves qui mangent du fromage, au pire des sodomites violeurs d’enfants de chœur. Lutter contre les représentations, d’accord, mais sûrement pas quand il s’agit des siennes, que France Inter a le droit et même la mission de diffuser ex cathedra. Hors de question, en tout cas, d’admettre qu’on doive quelque chose aux moines, surtout pour la musique, domaine où tout animateur aime prouver qu’on n’a rien à lui apprendre.
Sans s’interrompre, pourtant, André Manoukian se met à réciter en latin l’hymne à saint Jean-Baptiste, dont les initiales des mots placés à l’hémistiche des trois premiers vers donnèrent les noms des notes :
UT queant laxis
REsonare fibris
MIra gestorum
FAmuli tuorum
SOLve polluti
LAbii reatum
Sancte Iohannes.
La possibilité d’un examen de conscience
Percevant probablement que cette brève leçon n’était pas du goût de tous — certains animateurs avaient tenté comme ils pouvaient de le couper par des blagues plus consensuelles —, l’invité du jour finit par une pirouette et passa vite à autre chose. “Un éclair… puis la nuit”, comme l’écrivait Baudelaire. Dans un accord tacite, chacun avait dû conclure qu’il fallait éteindre cette fugitive étincelle de grâce. C’est pourquoi personne ne s’intéressa au sens de ces quelques mots de latin, alors que la moindre formule anglaise (hors jargon informatique ou communicationnel que tout le monde, bien sûr, est censé comprendre) a droit à son interprète zélé.
“Pour que tes serviteurs puissent faire retentir à pleine voix les merveilles de tes actions, efface la faute qui souille leurs lèvres, ô saint Jean !” Même sans penser aux auditeurs, la traduction du début de l’hymne à saint Jean-Baptiste n’est pas sans intérêt pour des animateurs de radio, y compris hors du contexte monastique. Ils pourraient y puiser une attention accrue à l’usage qu’ils font de la parole, voire y découvrir la possibilité d’un examen de conscience sur les propos qu’ils tiennent. Cela supposerait, certes, qu’ils comprennent que leur place implique une responsabilité et que le “service public” — comme le “service divin” ? — est d’abord censé… rendre un service.