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Cette tribune hoquette au rythme des hoquets de l’actualité. Les dernières révélations très crues, publiées cette semaine par la presse, à partir d’enquêtes menées avec rigueur, sur les agissements criminels des frères dominicains et de sang Thomas et Marie-Dominique Philippe ainsi que de leur initié Jean Vanier, ont répandu une puanteur de scandale et un douloureux sentiment de colère que tout catholique honnête de ce pays a pu ressentir dans ses entrailles. En d’autres temps, cette nouvelle giclée de boue saumâtre qui s’en vient salir le visage de l’Église aurait déclenché une vague d’antichristianisme et d’anticléricalisme dont le pays de Voltaire et d’Émile Combes s’est fait une spécialité. Mais les regards semblent tournés ailleurs, vers la bataille des retraites ou les courbes de la vie chère. C’est donc une certaine indifférence, peut-être encore plus insoutenable que l’adversité, qui a accueilli cette nouvelle descente aux enfers de nos consciences chrétiennes.
Une mystification religieuse mortifère
Voilà donc deux religieux renommés, dont les actes délinquants et criminels avaient été sanctionnés par l’ex-Saint Office, sous Pie XII en 1956, et qui ont pu en toute impunité poursuivre pendant des décennies leur carrière ecclésiastique et leur sordide besogne sur des femmes vulnérables, entièrement soumises à leur emprise charismatique, comme envoûtées par leur spiritualité mariale complètement désaxée et blasphématoire. Puis voici leur disciple, Jean Vanier, considéré comme un saint de son vivant à cause de son action magnifique auprès des personnes handicapées au sein de l’association L’Arche, dont on apprend avec stupeur et écœurement qu’il a lui aussi abusé sexuellement de plusieurs femmes vivant dans son entourage. Avec ce sinistre feuilleton des abus dans l’Église de France, le titre du roman célèbre de Gilbert Cesbron prend un autre sens : “Les saints vont en enfer” n’est plus une fiction inspirée par une réalité missionnaire, mais le récit réel d’une mystification religieuse mortifère. Pendant combien de temps encore devrons-nous boire ce calice jusqu’à la lie ?
Je compatis pleinement à la honte, au courroux et au dégoût qui alimentent le désarroi de beaucoup de catholiques.
J’entends bien celles et ceux qui réclament l’ouverture de “procès de Nuremberg” permettant d’entendre ou de “ressusciter” le témoignage des victimes dont les vies ont été saccagées et de juger les coupables et leurs complices, s’il le fallait par contumace, pour rétablir la dignité de ces femmes qui ont été abusées, violées, réduites à des sextoys pour assouvir les plus bas instincts de pervers détraqués travestis en anges gardiens. J’entends bien celles et ceux qui prônent une révolution radicale de la transparence dans les rouages ecclésiaux pour que “plus jamais ça !”. J’entends bien celles et ceux qui réclament une désacralisation du clergé quand on voit à quelles aberrations criminelles peut mener une glorification du prêtre avec des personnes vulnérables, privées de vie spirituelle charpentée par une foi raisonnée et dont la candeur est une proie idéale pour les prédateurs. J’entends bien celles et ceux qui demandent des comptes aux autorités qui pour dissimuler des délits, sauver des réputations ou encore honorer l’amour de l’Église ont appliqué cette loi d’airain de l’omerta et du secret qui a prévalu depuis trop longtemps dans les réseaux de pouvoirs ecclésiastiques. J’entends bien tout cela. Je compatis pleinement à la honte, au courroux et au dégoût qui alimentent le désarroi de beaucoup de catholiques. J’en vois même qui se précipitent vers le portail de la sortie. Mais…
Se changer soi-même
“Je ne quitte pas cette Église fondée sur une pierre fragile car j’en fonderais une autre sur une pierre plus fragile encore, celle que je suis moi-même. Je comprends de plus en plus que fonder l’Église sur la tombe d’un traitre, d’un homme qui eut peur des bavardages d’une servante est un avertissement de tous les instants : il maintient chacun de nous dans l’humilité, dans la conscience de sa propre fragilité… Non, ce n’est pas mal de critiquer l’Église quand on l’aime. C’est mal de la contester quand on se tient sur la touche comme des purs. Non, ce n’est pas mal de dénoncer le péché et les dépravations, mais c’est mal de les attribuer aux autres seulement et de se croire innocents, pauvres, bons. Voilà le mal !” L’auteur de cette citation, Carlo Carretto (1910-1988), fut ô combien un indigné, un déçu de l’Église après l’avoir longtemps servie en dirigeant la puissante Action catholique italienne de l’époque. Mais harassé par les jeux de pouvoir, les impostures et les chausse-trappes, il se retira au désert comme Charles de Foucauld. Il en revint transfiguré en une sorte de prophète Jean-Baptiste des temps modernes, prêchant jusqu’à son dernier souffle dans la région d’Assise, l’avènement d’une Église baptismale, enfin délestée de tous les oripeaux et artifices qui entravent sa marche de conversion au grand soleil de l’Évangile.
Alors que faire ? Nécessairement changer des choses. Et il y a du pain sur la planche pour que la “maison de prières” que doit demeurer l’Église ne ressemble pas à la “caverne de voleurs” où grenouillent les abuseurs et les imposteurs qui font maintenant son malheur. Notre malheur ! Pour changer vraiment les choses, peut-être faut-il commencer par changer d’attitude soi-même. S’il est vrai que le bon grain et l’ivraie, la sainteté et le diabolique cohabitent dans l’Église, il n’est pas moins vrai que cette cohabitation des contraires réside aussi en moi, j’en suis sûr, et en chacun de nous, peut-être aussi. L’avantage de ce discernement est de nous interdire de jouer aux juges de touche, de nous comporter en puritains hypocrites, en censeurs présomptueux et infertiles. La connaissance de soi-même nous pousse au contraire à nous impliquer pour que ça change. En commençant d’abord par nous présenter autrement au monde.