Ce 25 janvier 1928, l’engagement entre les troupes gouvernementales mexicaines et les insurgés cristeros du général Mendoza tourne mal pour ces derniers. Rien d’étonnant… Depuis deux ans que les catholiques se sont soulevés contre un pouvoir persécuteur qui a déclaré la guerre à l’Église, ils n’ont pas été beaucoup soutenus, même par Rome que cette guerre sainte, cette Vendée américaine embarrasse. Tout le monde préfère regarder ailleurs, en savoir le moins possible sur ces gens, persécutés pour leur attachement à leur religion, comme si, au XXe siècle, il était raisonnable d’aller se faire tuer pour un Dieu auquel il n’est plus de bon ton de croire et regardés comme des fanatiques arriérés !
Des brimades orchestrées par le président Calles, qui a fait fermer les églises interdites au culte, chasser les prêtres, pourchasser et massacrer ceux qui ont tenté de passer dans la clandestinité afin d’assurer à tout prix les sacrements aux fidèles, personne ne parle ; pas davantage de la violence des combats livrés contre les insurgés par l’armée régulière et des représailles impitoyables qui frappent les régions révoltées. Quant à leur venir en aide sur le plan militaire, leur fournir des armes, ou, simplement, informer l’opinion publique internationale, qui s’en soucie ?
Et pourtant, depuis bientôt deux ans, la Cristiada s’obstine à combattre pour le Christ-Roi dont Pie XI a instauré la fête. Provocation intolérable pour le monde moderne, qui ne veut surtout pas que le Christ règne sur lui, et pour les troupes de Calles, qui massacrent au cri de “Vive Satan !” Tout un programme… Comment s’étonner que les Cristeros, malgré leur courage, se fassent écraser ? Ce 25 janvier, le cheval du général Mendoza vient de s’abattre ; démonté, le chef est désormais une proie facile. Sa prise sera une aubaine pour les gouvernementaux, et un désastre, un de plus, pour l’armée catholique. Cette évidence s’impose, fulgurante, au jeune cornette qui chevauche à ses côtés. Un gamin en fait : 14 ans, et l’air d’un enfant. À tel point que, lorsque, en 1926, ce gosse a prétendu suivre ses deux frères aînés à la guerre, les chefs cristeros, unanimes, ont refusé son engagement et lui ont donné rendez-vous “le jour de tes 18 ans, muchacho !”
Ils ont sous-estimé l’obstination de l’enfant. Né le 28 mars 1913 à Schuayo de Morelos José Luis Sanchez del Rio n’a pas l’intention d’attendre jusque-là. Il est revenu à la charge, encore et encore, à la désolation de sa mère qui répète qu’il est “trop petit, qu’il ne fera qu’encombrer les adultes !” Oui, il est petit mais il saurait se rendre utile. Peut-être pas sur un champ de bataille, en tout cas pas tout de suite, mais à l’arrière. Il sait soigner les chevaux, les ferrer, comme un homme, préparer les haricots sautés pour le frichti de la troupe. De guerre lasse, le général Gorostiche a fini par envisager cet enrôlement, à condition que la mère dise oui.
Surnommé Tarcisio
Horrible choix pour cette femme qui a déjà donné deux fils à la Cristiada et voudrait tant garder au moins son benjamin… Mais José Luis supplie : “Maman, jamais il n’a été aussi facile et rapide de gagner son Ciel ! Maman, je vous en prie, ne m’en empêchez pas !” En 1926, dans les familles catholiques du Mexique et d’ailleurs, l’on croit encore aux promesses de la vie éternelle, et que l’éternité bienheureuse se mérite, au prix fort. Alors, héroïque, elle a cédé.
C’était il y a dix-huit mois. Très vite, José Luis a su se rendre indispensable. Pas seulement pour ses talents de cuisinier ou de palefrenier, mais pour sa foi inentamable, son optimisme qui relève les courages des plus abattus, la charité avec laquelle il reste des heures à soigner un camarade blessé. Pour son intrépidité aussi qui l’incite à tout braver pour l’amour du Seigneur et de Sa Mère. Le jugeant désormais assez grand, Mendoza lui a confié l’étendard de ses troupes, mission glorieuse, et à hauts risques. Abattre le porte-drapeau, c’est saper le moral de l’adversaire. José Luis est devenu une cible ; il le sait, il l’accepte, il en est fier. Les hommes l’ont surnommé Tarcisio, en hommage à saint Tarcisius, le jeune clerc romain martyrisé pour avoir refusé de livrer l’eucharistie aux païens. Devinent-ils que cet enfant lumineux est, lui aussi, appelé à mourir pour le Christ ?
Il ne lâche rien
Ce 25 janvier, quand le cheval de Mendoza s’écroule, blessé à mort, José Luis ne songe qu’à la perte que serait la prise du général. Sautant à terre, il tend les rênes de sa jument à son chef, et le précieux drapeau frappé de l’image de Notre-Dame de Guadalupe : “Prenez mon cheval, mon général !” Mendoza accepte, conscient de l’immensité du sacrifice consenti à la cause catholique. Tandis que ses camarades se replient, José Luis reste seul, mais il ne lâche rien et se bat tant qu’il a des munitions. Tout à l’heure, aux ennemis médusés de se trouver en face de ce gamin, il déclarera : “Je ne me suis pas rendu ! J’ai manqué de cartouches ” et c’est vrai.
L’émotion ne va pas l’emporter longtemps, et les hommes de Calles vont faire payer au prix fort sa résistance à ce moutard. José Luis est ramené à son village natal, emprisonné dans l’église Saint-Jacques où il a été baptisé. Pour l’exemple, pour montrer ce qu’il en coûte de rejoindre les insurgés, parce que les souvenirs d’enfance, la pensée de ses parents pourraient ébranler le petit prisonnier. Si celui-là reniait ses convictions, la victoire serait symbolique et meilleure qu’un triomphe militaire. José Luis est indifférent aux menaces, au chantage. Croyant l’impressionner, on l’oblige à assister au supplice d’un autre cristero. Loin de faiblir, il soutient l’adulte jusqu’au bout : “Dis au Christ Roi près duquel tu seras dans un instant de me garder une place à ses côtés car je te rejoindrai bientôt près de Lui.” Son père, propriétaire terrien aisé, sachant les troupes gouvernementales corrompues, propose une rançon contre la vie de son fils ; on lui fixe une somme exorbitante qu’il ne pourra réunir. D’ailleurs, il n’a jamais été question de libérer l’enfant. José Luis le sait. Il rédige, le 5 février, à l’intention de sa mère, une lettre que l’on retrouvera sur son cadavre : “La seule chose qui m’inquiète, Maman chérie, c’est que tu vas pleurer à cause de moi. Je t’en prie ! Ne pleure pas ! Nous nous retrouverons.”
Le saint patron des JMJ
Serein, il accepte le martyre et cette sérénité même exaspère ses tortionnaires qui n’ont plus qu’une envie : lui faire renier sa foi à n’importe quel prix. On lui fait miroiter sa grâce s’il abjure le catholicisme, José Luis refuse. Alors, on le torture en lui lacérant au couteau le dessous des pieds. Il hurle de douleur mais, entre deux plaintes, répète inlassablement : “Vive le Christ Roi ! Vive Notre-Dame de Guadalupe !” Le 10 février 1928, José Luis est traîné le long des rues de sa ville natale, les plaies de ses pieds enduites de sel, répétition atroce de la passion endurée voilà quinze siècles par les saints Tryphon et Respicius. L’ennui des renégats, c’est qu’ils savent admirablement utiliser leurs souvenirs de catéchisme contre leurs anciens coreligionnaires…
Arrivé au cimetière, on lui ordonne de creuser sa tombe. José Luis, qui pleure de douleur, s’exécute. Une dernière fois, on le somme d’abjurer. Le garçon se redresse et crie : “Longue vie au Christ Roi !” Alors, un officier lui vide le chargeur de son revolver dans la tête avant de le pousser dans la fosse. Il ne faudra que quelques heures pour que les femmes du pays se précipitent sur la tombe du jeune martyr. José Luis, canonisé le 16 octobre 2016, est le saint patron des JMJ.