Un choc frontal entre culture de mort et culture de vie. Peut-on ainsi qualifier l’accident provoqué ce vendredi 10 février par Pierre Palmade ? L’humoriste carburait au chemsex, mélangeant came et défonce. Ses victimes souriaient à l’avenir, telle cette future maman de 27 ans, enceinte, qui a perdu son bébé. Son beau-frère qui conduisait a subi sept opérations et son fils de 6 ans est défiguré. Une famille dévastée par un homme ravagé. La responsabilité anéantie par l’irresponsabilité.
De rechutes en rechutes
Sur la route, des libertés se fracassent, et sans le savoir, ni le vouloir, ni le prévoir, la folie y percute la sagesse, l’écrabouille dans la tôle. La route — les plus petites sont les plus terribles — est un champ clos meurtrier, une arène qui ne dit pas son nom, un autel où le dieu de la mobilité hurle sa soif de sang. La route est ce lieu que l’on dit avoir tous en partage dans une société ne partageant plus rien. S’y croisant à toute vitesse comme des électrons propulsés dans le vide, les âmes et les hommes y jouent leur destin à pile ou face. Ce fait divers ne serait pas une “affaire” si Pierre Palmade n’était pas une célébrité. Aussi a-t-on toujours besoin de méditer ce qui arrive à quelqu’un de connu, comme si son aura en faisait le symbole de quelque chose, qu’il y avait un enjeu. Grâce à lui et malgré lui, ce clown triste met son gros pied dans le plat de vrais sujets.
Le premier est celui de la dépendance. Condamné en 1995 pour consommation de cocaïne, Pierre Palmade s’est confié plusieurs fois sur sa “maladie”. D’ailleurs, dit-il à Laurent Ruquier, “je ne savais pas à 20 ans que c’était une maladie, je pensais que c’était un divertissement. J’ai subodoré à 30 ans que c’était un poison. À 40 ans, j’étais sûr que j’étais cocaïnomane et que j’allais dans le mur, et ça fait dix ans que j’essaye d’arrêter”. Manifestement, les cures de désintoxication sont inefficaces, et, de rechutes en rechutes, l’homme était laissé à lui-même. Pourquoi ne pas lui avoir ôter son permis de conduire provisoirement ou définitivement ? On ne peut pas confondre ligne blanche et ligne de coke.
« Je ne me jugeais plus »
Le deuxième sujet est justement celui de la drogue. Cette affaire ne doit pas juste éloigner la perspective de la dépénalisation du cannabis dont l’humoriste contribue à faire un truc sympa et drôle dans son célèbre sketch “le joint”. Il faut changer de regard et de discours sur les substances hallucinogènes, en finir avec la distinction spécieuse entre drogues douces et drogues dures, ne pas créditer le cannabis de vertus thérapeutiques, punir tout consommateur dès la première prise, le considérer comme un trafiquant, ce qu’il est évidemment car sans la demande, il n’y a pas d’offre (en 2019, Pierre Palmade fut placé en garde à vue pour usage et acquisition de stupéfiants). Je sais ce genre de mesures répressives illusoires, la drogue n’étant pas à la marge mais à tous les étages de la société. Les psychotropes reflètent une vision de la vie nihiliste et dépressive : au JDD, le comédien se dit “persuadé que la vie ne dure que le temps d’une boum”. Avec ses yeux exorbités, son profil pointu, sa silhouette d’1,84 m tout en jambes et en bras, Pierre Palmade promène depuis toujours ses terreurs existentielles, son angoisse de vieillir, sa peur de mourir et ses rapports compliqués aux autres, à sa mère, à ses amours, à sa sexualité : “À jeun, je voulais être hétéro à tout prix. Avec l’alcool et la drogue, j’ai eu la liberté d’être homo, je ne me jugeais plus, m’éclatais.” Ne plus se juger, être désinhibé de tout, voilà ce que la drogue procure, une neutralisation de cette hormone de croissance qu’est la conscience du bien et du mal.
Plus de père, plus de repères
Cette affaire est fascinante quand on en fait l’arbre des causes. Le père de Pierre Palmade était obstétricien. Appelé une nuit pour un accouchement, il meurt dans un accident de la route, sa voiture s’écrasant contre un arbre. Et aujourd’hui, le fils provoque la mort d’un enfant à naître ! Qu’y a-t-il à comprendre ? Et quelle ironie ! La faucheuse s’amuse avec ses proies. Le petit Pierre, 8 ans à l’époque, affirme avoir perdu “tous repères masculins”. “Il n’y aura plus jamais personne au-dessus de moi. Plus jamais aucune autorité”, confie-t-il à Libération. Sa mère refuse qu’il assiste aux obsèques. Son autobiographie, parue en 2019, s’appelle Dites à mon père que je suis célèbre (Harper Collins). Sans commentaire.
Rattacher l’accident à une série de causes en cascade est-il un exercice abusif et malhonnête ?
Marié à Véronique Sanson, il divorce et révèle sa bisexualité chez Mireille Dumas. Son trouble s’accroît et ses spectacles se nourrissent de plus en plus de sa désorientation sexuelle. Pierre Palmade avoue sa “tristesse d’être homo”. Le clown fait polémique. Son mal-être prend à revers tout un discours feel good sur le sexe tous zizimuts. Père rime avec repère, crie-t-il à nos oreilles sourdes. Cette vérité devenue clivante est-elle encore bonne à dire ? Rattacher l’accident à une série de causes en cascade est-il un exercice abusif et malhonnête ? L’enchaînement est le suivant : perte du père, absence de deuil, trouble de la sexualité, immaturité, rejet de l’autorité, fuite en avant, starisation, drogue, drame. Fin de l’histoire.
L’enfant a-t-il respiré ?
Le troisième sujet touche à l’enfant. Cette affaire relance la question du statut du fœtus : le bébé a-t-il respiré avant de mourir ? Si oui, c’est un sujet de droit et la qualification d’homicide involontaire, initialement retenue par le parquet, pourra être confirmée. “Il faut déterminer s’il a vécu, même quelques secondes”, indique le procureur de Melun, Jean-Michel Bourlès. La femme était enceinte de six mois et demi. Pierre Palmade ne pourra jamais réparer le mal qu’il a provoqué et dont “il est à 100 % responsable”, ainsi que l’affirme son ami Jean-Marie Bigard. Mais il pourrait s’engager dans le combat pour la révision du droit pénal, selon lequel le fœtus n’existant pas, sa mort ne peut être reprochée à personne. Ce serait une manière de renouer avec la vocation de son père, de basculer de la culture de mort vers la culture de vie. Ce serait aussi un défi à l’heure où l’IVG, porté au pinacle de la Constitution, invisibilise toujours plus l’enfant à naître. Au clown, tout est permis. Et lui n’a plus rien à perdre.