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“Le travail c’est la santé”. Enfants, nous entendions avec entrain ce refrain chanté à tue-tête par les sept nains de Blanche Neige. Le travail était le lieu où l’homme se réalisait et apportait sa pierre à la construction d’un monde meilleur. Adolescent, les choses se firent plus relatives : le travail ? quel travail ? celui que je choisis ou celui que l’on m’impose ? Un secrétariat d’État au Temps Libre et la place grandissante des loisirs installèrent une concurrence sérieuse au travail comme lieu principal de l’épanouissement.
Construire une cathédrale
À l’âge adulte, le premier emploi vient parfois confirmer les ambitions de la jeunesse. Mais il vient aussi, souvent, les contrarier. Les plus grands groupes l’ont bien compris, qui cherchent, à coups de millions dans des boîtes de communication, à donner du sens aux métiers qu’ils développent. Il y a quelque chose de noble à cela : mettre en avant le sens d’une profession, d’un “job” n’est-ce pas une louable intuition ?
C’est mettre à l’honneur celui ou celle qui l’occupera, l’inscrire dans une dynamique plus grande. C’est renouer avec l’histoire du tailleur de pierres du Moyen-Âge, qui répond à qui l’interroge sur son labeur, qu’il “construit une cathédrale”. Mais, en cherchant à trouver du sens, ne reconnaît-on pas implicitement que, jusque-là, un certain nombre de métiers n’en avaient pas ou plus ? Ainsi ce jeune homme brillant, diplôme de son école de commerce en poche, disant à son père après deux ans dans un cabinet de conseil, qu’il comptait suivre une formation pour être poissonnier. Son père s’étouffe et lui rétorque : “Tu te vois toute ta vie les mains dans le poisson ?” L’autre lui répondit du tac au tac : “Ce n’est pas plus idiot que de passer sa vie les yeux rivés sur des tableaux Excel !”
Pour quoi travailler ?
L’invraisemblable cafouillage auquel le monde politique nous donne d’assister autour du débat sur la retraite gagnerait s’il prenait en compte la question essentielle de ce qu’est le travail, et du drame d’une société où l’on ne parle plus que d’”emplois” plutôt que de “métiers”. Car l’emploi est vide de sens, on peut y mettre tout et son contraire, il n’est qu’une tâche sans contexte et sans histoire, aux auteurs anonymes et interchangeables. Le métier, lui, porte un savoir-faire, une transmission, une identité à laquelle on peut se référer et dont on peut aussi s’enorgueillir.
Les entreprises, les employeurs, sont de plus en plus focalisés sur la notion de profit et de rentabilité. Il faut faire de l’argent, en laissant miroiter aux employés que chacun y trouvera son compte. Mais lorsque l’argent devient le maître des pensées et le but à atteindre, il se montre un dieu impitoyable, renvoyant chacun à son intérêt propre, instrumentalisant l’un et rendant l’autre impitoyable. La question pour beaucoup n’est donc pas tant “jusqu’à quel âge faut-il travailler ?” mais “pour quoi et pour qui faut-il travailler ?” En vue de quoi ? C’est la question du but, là encore, qui revient en boomerang, interrogeant nos certitudes et dévoilant nos parts d’ombres.
Des métiers qui ont du sens
Quelle société bâtissons-nous ? On aimerait pouvoir appuyer sur la touche “pause” du déroulé de notre vie collective pour que le temps soit pris où chacun pourrait donner son avis, émettre ses vœux. Il y a un contrat social à rédiger. Quand ? Comment ? Je ne le sais. Mais ce qui est certain, c’est qu’une société qui passe son temps à colmater les brèches de ses impérities sans prendre le temps de se poser pour regarder dans son ensemble à quoi elle ressemble, cette société court à sa perte rapidement. Certains soupireront en se disant que tout cela n’est que chimère et que nous n’avons pas le temps de traîner de la sorte. C’est qu’ils confondent le temps avec l’argent et qu’en choisissant pour maître ce dernier, ils renoncent à tout autre possible.
Plus les débats se font vifs, plus les textes de lois se multiplient, plus les urgences grandissent, plus se révèle la nécessité de sortir de l’illusion collective d’une société où la croissance matérielle est l’ultime espérance de l’humanité. Il en est une autre, qui lui est supérieure, c’est la croissance spirituelle. Non pas religieuse, mais spirituelle : c’est-à-dire la capacité de l’être à se projeter et à se penser au-delà de lui-même.
Si nous refusons collectivement cette dimension en la tolérant seulement si elle se privatise, nous nous condamnons tous à l’asphyxie. Midas, roi de Phrygie, reçut des dieux le pouvoir de transformer en or tout ce qu’il touchait. Ne pouvant plus rien boire ni manger, il supplia ses bienfaiteurs de lui retirer ce don mortifère. De nombreux jeunes nous le montrent chaque jour en choisissant des métiers qui trouvent sens à leurs yeux dans un monde qui en perd : ne nous invitent-ils pas à oser renoncer à cet asservissement collectif à ce dieu-or qui n’a même plus la tête d’un veau ?