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Les réseaux sociaux sont interdits aux enfants de moins de 13 ans, mais pour le moment, cet âge ne correspond à aucune obligation juridique en France. Il s’agit d’un seuil fixé par les plateformes elles-mêmes en vertu de la législation américaine “Children’s Online Privacy Protection Act” qui interdit la collecte des données personnelles sur des jeunes de moins de 13 ans. En France, en 2018, la loi Informatique et libertés a fixé la majorité numérique à 15 ans, âge à partir duquel un internaute peut consentir seul au traitement de ses données personnelles. Lorsqu’un mineur est âgé de moins de 15 ans, le consentement doit être donné par le mineur concerné et le titulaire de l’autorité parentale. En théorie, les jeunes Français de 13 à 15 ans n’ont donc pas le droit de créer de compte sur un réseau social sans accord parental. Mais “les textes ne reconnaissent pas une “majorité numérique globale” à 15 ans”, souligne la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) dans une recommandation de juin 2021, ce à quoi veut recourir la proposition de loi adoptée à une quasi-unanimité (82 voix contre 2) en première lecture ce jeudi 2 mars à l’Assemblée. Les réseaux sociaux comme TikTok, Instagram ou Snapchat pourraient se voir contraints de vérifier l’âge de leurs utilisateurs et l’accord des parents pour l’inscription d’enfants de moins de 15 ans. La proposition de loi doit désormais être examinée au Sénat.
Car dans les faits, les limites d’âge ne sont pas respectées. Selon une étude réalisée en janvier 2021 pour la CNIL, la première inscription sur un réseau social intervient en moyenne à l’âge de 8 ans et demi. En 2021, 63 % des moins de 13 ans avaient un compte sur au moins un réseau social, d’après l’enquête “Les pratiques numériques des jeunes de 11 à 18 ans” menée par l’association Génération Numérique en 2021. Un tel écart est dû au fait que les plateformes n’ont pas d’outils sérieux pour vérifier l’âge des internautes. Il suffit en effet d’indiquer une fausse date de naissance.
Vers un durcissement de la loi ?
Pour faire appliquer les règles dans le monde numérique, et protéger les jeunes des risques psycho-sociaux liés à une utilisation trop précoce des réseaux sociaux, le député de Corse-du-Sud Laurent Marcangeli (groupe Horizons) a déposé une proposition de loi “visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne”. Selon lui, un usage intensif des réseaux sociaux dès le plus jeune âge est un danger pour la santé physique et mentale des enfants. Il s’appuie sur des études anglo-saxonnes qui ont démontré le lien entre l’usage des réseaux et des troubles de l’humeur, de l’anxiété, ou encore de la dépression, notamment chez les jeunes filles. “Selon une étude menée au Royaume‑Uni, pour un équivalent de 5 heures par jour passées sur les réseaux sociaux, près de 50 % des adolescentes britanniques présentent des symptômes cliniques de dépression”, expose-t-il dans les motifs. C’est pourquoi il propose d’instaurer une majorité numérique à 15 ans pour s’inscrire et utiliser un réseau social, en obligeant les opérateurs de plateformes en ligne, sous peine d’amende pouvant aller jusqu’à 1 % de leur chiffre d’affaires, à respecter ce seuil, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État.
“Je ne vois pas l’intérêt des réseaux sociaux pour les jeunes”
Pour Juliette Lachenal, psychologue clinicienne fondatrice de PepPsy, il s’agit “d’une bonne chose”, mais le seuil de 15 ans lui paraît encore trop jeune. “A 15 ans, un adolescent est en pleine construction de lui-même. Surfer sur les réseaux sociaux à haute dose, c’est catastrophique ! Sur les réseaux, un ado est sans cesse amené à se comparer, et donc à se dévaloriser puisqu’il est confronté à un monde faux, à des standards inatteignables. Il ne sera jamais assez bien !”, alerte-t-elle.
Challenges dangereux, contenus douteux, beauté factice… A 15 ans, l’esprit critique est-il suffisamment formé pour avoir le recul nécessaire quant aux textes, images et vidéos véhiculés par les réseaux ? Ce n’est pas évident. “L’adolescence est une période charnière où le jeune doit prendre confiance en lui, et les réseaux lui montrent des images fausses, enjolivées de la réalité… Il a au contraire besoin de lieux où il puisse être lui-même. C’est tout le contraire des réseaux sociaux ! Je ne vois vraiment pas l’intérêt des réseaux pour les jeunes !”, estime Juliette Lachenal.
Règles et compromis
Eloigner ses enfants des réseaux sociaux n’est pas pour autant chose aisée. Face à la pression de leurs adolescents, les parents tentent de trouver un positionnement, entre confiance, compromis et règles strictes. Bérengère, mère de quatre enfants dont deux aînés de 16 et 18 ans, est intransigeante : elle ramasse les portables tous les soirs à 21 heures et les rend le lendemain matin. Ils ne sont que sur Instagram, avec un profil privé auquel elle a accès. Quant à Caroline, maman de cinq enfants, elle se félicite d’avoir instauré la règle “pas de téléphone avant le lycée” avec son aîné… car maintenant qu’il est en première, c’est un vrai sujet de tension : “On utilise Family Link, comme contrôle parental, mais il arrive à se rajouter du temps ou à modifier les autorisations. Il a deux comptes sur Instagram, un auquel j’ai accès, l’autre non, il nous demande d’être sur Snapchat mais nous refusons. On essaie d’instaurer une relation de confiance mais on n’y arrive pas”, avoue-t-elle.
“Si les parents eux-mêmes ont un usage excessif des réseaux, il sera difficile de transmettre à leurs enfants un juste rapport aux écrans”.
Même si l’Etat durcissait la législation quant à l’âge d’accès aux réseaux sociaux, il n’en demeure pas moins que leur usage demande un accompagnement progressif même après la “majorité numérique”. L’apprentissage du monde numérique ne peut se faire du jour au lendemain. Ce n’est pas parce qu’un enfant fête ses 15 ans qu’il maîtrise tout à coup les pièges et les subtilités des réseaux sociaux. “Rien ne remplace la vigilance des parents”, souligne Juliette Lachenal. Une vigilance à deux niveaux : vigilance sur ce que font les ados sur les réseaux, et vigilance par rapport à sa propre utilisation des réseaux. “Si les parents eux-mêmes ont un usage excessif ou se laissent miner par des injonctions véhiculées par les réseaux sociaux, alors il sera difficile de transmettre à leurs enfants un juste rapport aux écrans”.