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Fruits, légumes, poissons, produits laitiers… Quels plats mijotaient les carmélites de Lisieux à l’époque de sainte Thérèse ? Leur cuisine tenait-elle compte de la santé et du bon goût ? D’après la tradition orale et quelques recettes conservées dans les archives du carmel de Lisieux, elle semblait être saine et relativement équilibrée, même si aujourd’hui, on serait tenté de l’alléger un peu.
Par exemple, au menu du matin, les sœurs prévoyaient une soupe aux poireaux et pommes de terre (remplacée pendant le carême par un bouillon clair). En revanche, le dimanche, après la messe, soit vers 9h, les religieuses préparaient du riz à l’oseille. Le déjeuner se composait de poisson ou d’œufs avec des légumes et des fruits venant du jardin. Un petit morceau de fromage de temps en temps et des laitages sucrés comme dessert. En règle générale, les carmélites de Lisieux ne mangeaient jamais de viande, à l’exception des sœurs malades.
Quant au repas du soir, il se composait essentiellement des légumes et des fruits provenant exclusivement du jardin du monastère. Comme dessert : des laitages. Parmi les recettes gardées dans les archives du monastère on trouve entre autres, la “soupe mitonnée”, un vrai plat de résistance, une omelette aux pommes pour les grandes fêtes ou encore le traditionnel riz à l’oseille du dimanche.
Petits festins pour célébrer Pâques et Noël
Pour Pâques et Noël, le menu monastique devenait plus élaboré et s’accompagnait de vin blanc : des petits festins possibles grâce aux généreux cadeaux envoyés à la communauté par les proches des religieuses. C’est ce qu’évoque avec gratitude sœur Marie de l’Eucharistie dans sa correspondance avec ses parents (famille Guérin) :
“Hier soir le réfectoire était rempli de tous vos cadeaux, jamais je n’en avais vu autant… et puis pour finir… encore un panier de prunes qui arrive… Cette fois-ci, je ne me contenais plus… Notre Mère était aussi bien touchée… mais vous rendre ce que nous avons toutes ressenti, c’est impossible.”(6 septembre 1895)
“Noël est fêté au Carmel comme jamais je n’ai vu… La Communauté n’est plus reconnaissable, c’est licence et tout le monde est à la joie. Les repas sont splendides, tous les jours nouveaux mets : galettes de sarrasin, crêpes, beignets etc.” (28 déc. 1895).
Le homard endiablé raconté par Thérèse
Parfois, sur les tables du réfectoire, on pouvait même voir des fruits de mer. Dans une lettre du 19 mars 1897 adressée au père Adolphe Roulland, missionnaire en Chine, la petite Thérèse décrit avec son sens de l’humour si personnel, une scène insolite provoquée par l’arrivée inattendue du homard dans les cuisines du monastère. Il s’agissait d’un cadeau de la part d’un bienfaiteur :
“Une personne charitable nous a fait cadeau dernièrement d’un petit homard bien ficelé dans une bourriche. Sans doute il y avait longtemps que cette merveille ne s’était vue dans le monastère, notre bonne sœur cuisinière se rappela cependant qu’il fallait mettre la petite bête dans l’eau pour la faire cuire ; elle le fit en gémissant d’être obligée d’exercer une telle cruauté sur une innocente créature. L’innocente créature paraissait endormie et se laissait faire ce que l’on voulait ; mais aussitôt qu’elle sentit la chaleur, sa douceur se changea en furie et connaissant son innocence, elle ne demanda la permission de personne pour sauter au milieu de la cuisine, car son charitable bourreau n’avait pas mis de couvercle à la marmite.
Aussitôt la pauvre sœur s’arme de pincettes et court après le homard qui fait des sauts désespérés. La lutte continue assez longtemps, enfin de guerre lasse, la cuisinière toujours armée de ses pincettes vient tout éplorée trouver notre Mère et lui déclare que le homard est endiablé. Sa figure en disait encore plus long que ses paroles. (Pauvre petite créature si douce, si innocente tout à l’heure, te voilà donc endiablée ! Vraiment, il ne faut pas croire aux compliments des créatures !)
Notre Mère ne peut s’empêcher de rire en écoutant les déclarations du juge sévère qui réclame justice, elle se rendit aussitôt à la cuisine, prit le homard qui n’ayant pas fait vœu d’obéissance fit quelque résistance, puis l’ayant mis dans sa prison, s’en alla mais après avoir bien fermé la porte, c’est-à-dire le couvercle. Le soir à la récréation, toute la communauté rit aux larmes du petit homard endiablé et le lendemain chacune put en goûter une bouchée. La personne qui voulait nous régaler ne manqua pas son but, car le fameux homard ou plutôt son histoire nous servira plus d’une fois de festin, non pas au réfectoire…, mais à la récréation” (19 mars 1897).
Au réfectoire avec les carmélites
Imaginez un peu. Pour se rendre au réfectoire, les sœurs viennent du chœur récitant le psaume De profundis. En arrivant au réfectoire, elles s’inclinent devant la croix placée au-dessus de la table de la prieure. Puis, elles se divisent en deux chœurs afin de se ranger près des tables, les plus jeunes au bas du réfectoire et les anciennes près de l’entrée. Une fois toutes à leurs places, la sœur responsable des repas de la semaine, appelée la “semainière”, récite le verset A porta inferi.
Lorsque toutes les religieuses sont assises, la prieure sonne la petite clochette pour faire commencer la lecture ; environ une minute plus tard, elle sonne un second coup pour commencer le repas.
Pendant la lecture, toutes les sœurs se tournent vers la croix. Ensuite, la prieure donne le signe de commencer la bénédiction de la table. Inclinées, toutes les sœurs continuent alors le benedicite avec le Gloria Patri et le Pater noster. Au signe de la prieure, elles se relèvent, chacune faisant le signe de la croix. C’est après le benedicite, qu’elles se mettent à table en silence pour écouter la lecture dite par la sœur lectrice. Lorsque toutes les religieuses sont assises, la prieure sonne la petite clochette pour faire commencer la lecture ; environ une minute plus tard, elle sonne un second coup pour commencer le repas.
Le Manuel de direction spirituelle des carmélites souligne qu’au réfectoire, “on s’y tient fort modeste, les mains sous le scapulaire, la vue baissée et l’esprit élevé à Dieu, se figurant qu’on est en la compagnie de Notre Seigneur et des Apôtres, au saint Cénacle, dont le réfectoire est l’image.”
Quand l’obéissance vous occupera aux choses extérieures, ne vous affligez pas. Si c’est à la cuisine qu’elle vous emploie, comprenez-bien que Dieu est dans vos casseroles, c’est là qu’il vous attend.
À la fin du repas, les sœurs ramassent toutes les miettes par hommage à Jésus qui, après avoir fait les miracles de la multiplication des pains, a demandé aux apôtres de ramasser les restes, afin que rien ne soit perdu. Le tout sans faire aucun bruit non seulement pour ne pas interrompe la lecture, mais surtout de se mettre à l’écoute de Celui qui est présent dans les plus petits détails du quotidien. Il l’est dans la cuisine comme dans le réfectoire. C’est ce que disait Thérèse d’Avila : “Quand l’obéissance vous occupera aux choses extérieures, ne vous affligez pas. Si c’est à la cuisine qu’elle vous emploie, comprenez-bien que Dieu est dans vos casseroles, c’est là qu’il vous attend.”
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, de la même manière, des plats festifs sont toujours prévus pour célébrer Pâques ou Noël. D’ailleurs, à cette occasion les sœurs ont droit à des cadeaux gourmands comme des mignardises ou des chocolats, comme le confient les carmélites à Aleteia. Bien sûr, à l’occasion d’un anniversaire, les sœurs préparent un gâteau pour “marquer le coup”.
“En réalité, rien n’a vraiment changé depuis l’époque de sainte Thérèse. Sauf, peut-être, une chose : du temps de Thérèse, chaque assiette était remplie à l’avance. Il fallait prendre la première qui venait. Aujourd’hui, les plats circulent et chaque sœur prend la quantité qu’elle souhaite, tout en faisant attention à ce qu’il reste assez pour les autres. Sinon le cérémonial et les règles concernant les repas sont les mêmes”, explique Camille Burette, l’archiviste du Carmel de Lisieux.