C’était un matin glacial du mois de février. Des proches, des collaborateurs et de très nombreux amis ont rempli une petite église parisienne pour un dernier “A-Dieu” à Benoît, 58 ans, mort d’un cancer. Si ce brillant avocat, après le choc, l’avait combattu, il savait intuitivement qu’il ne lui restait pas beaucoup de temps à vivre.
Avec Astrid, son épouse, et leurs trois fils, tous se sont préparés à l’inéluctable, à la fois humainement et spirituellement. En effet, chaque détail de la messe d’enterrement qu’il avait soigneusement préparée, semblait composer le credo personnel de Benoît. Chants, lectures, prière commune… “C’était une manière de témoigner de sa foi et sa façon d’exprimer son attente du Ciel”, confie Astrid à Aleteia.
Au début de la messe, un moine proche du défunt a dévoilé quelques unes de ses confidences. Parmi elles, cette phrase : “Je prie pour la grâce du pardon.” On pourrait se demander pourquoi la grâce du pardon était si importante pour Benoît. Et pourquoi le prêtre qui célébrait la messe a demandé d’accueillir la miséricorde de Dieu pour tout ce qui est resté dans le silence, pour tout ce qui est resté dans son cœur, pour toutes les choses qu’il n’a pas su mettre devant Dieu ?
Au moment de la mort, il y a parfois des souffrances et des maux non-dits qui surgissent, même s’ils ne sont pas exprimés.
“Au moment de la mort, il y a parfois des maux ou des souffrances non-dits qui surgissent, même s’ils ne sont pas exprimés”, expliquait dans son homélie le prêtre célébrant. “Alors, si vous avez quelque chose à pardonner au défunt, ou un pardon à lui demander, c’est le moment de le faire pour le laisser partir en paix. Dites-lui : Je te pardonne. Je te laisse partir en paix. Si, au contraire, vous voulez lui demander pardon, faites-le dans votre cœur maintenant. Dites-lui : Je te demande pardon. Il pourra alors partir en paix.”
Dans l’instant même, Marianne, une amie de Benoît, a répondu à cette invitation : “Je m’en voulais beaucoup de ne pas avoir été assez présente auprès de lui dans ses derniers mois de vie. La peur de la mort et aussi la peur de ne pas trouver les mots m’empêchait d’aller le voir même si je priais beaucoup pour lui à distance”, confie-t-elle à Aleteia avec émotion. “Alors, j’ai voulu demander pardon à mon ami, en silence, juste dans mon cœur. À la fin de la messe, je me suis sentie apaisée. Il y avait une paix intérieure et une communion spirituelle avec Benoît. C’est comme si notre amitié devenait plus belle. C’était magnifique.”
Faire la démarche de pardonner ou de demander pardon c’est permettre au défunt d’être déjà un pied dans l’éternité où il n’y a plus de jalousies, de rivalités, d’injustices ou de calculs.
En réalité, ce n’était pas seulement magnifique. C’était divin. Car faire la démarche de pardonner ou de demander pardon ouvre la voie pour le défunt à la vie éternelle. Se mettre dans la logique de la réconciliation, c’est lui permettre d’être déjà un pied dans l’éternité où il n’y a plus de jalousies, de rivalités, d’injustices ou de calculs. “Quand on passe de l’autre côté, tout ce qui est humain est pénétré par le divin. Benoît regardait ses proches et ses amis depuis l’éternité, il voyait toute la vie en vérité et en humilité. Alors oui, s’il y a un pardon à demander à quelqu’un, ou un pardon à donner à quelqu’un, c’est le moment de le faire, pour être en paix et pour laisser le défunt partir en paix”, explique le père Paul Habsburg de la paroisse Notre-Dame-d’Auteuil à Paris.
L’amour au-delà de la mort
Demander pardon est un “cadeau inouï que notre foi nous permet de faire”, s’enthousiasmait ainsi Benoît XVI dans Spe salvi, sa deuxième encyclique sur l’espérance chrétienne, publiée le 30 novembre 2007 :
“Cependant, grâce à l’Eucharistie, à la prière et à l’aumône, “repos et fraîcheur” peuvent être donnés aux âmes des défunts. Que l’amour puisse parvenir jusqu’à l’au-delà, que soit possible un mutuel donner et recevoir, dans lequel les uns et les autres demeurent unis par des liens d’affection au-delà des limites de la mort – cela a toujours été une conviction fondamentale de la chrétienté à travers tous les siècles, et reste aussi aujourd’hui une expérience réconfortante. Qui n’éprouverait le besoin de faire parvenir à ses proches déjà partis pour l’au-delà un signe de bonté, de gratitude ou encore de demande de pardon ?” (Spe salvi, 48).
Mais attention, le pardon n’est pas une émotion. Le pardon n’est pas du ressenti, c’est une décision de vouloir le bien d’une personne, qu’elle soit vivante ou défunte. “Il s’agit du bien qui touche la personne entièrement, celui qui lui permettra de rentrer dans le pardon de Dieu. Pardonner au défunt ne signifie pas oublier ni accepter l’injustice. Pardonner, c’est lui permettre d’atteindre le purgatoire qui est le lieu de la justice dans sa dimension divine et d’avancer vers la pleine joie du Ciel. C’est dans l’âme du défunt que la justice est faite. Pardonner au défunt le fait grandir et l’aide dans sa purification”, explique de son côté à Aleteia don Paul Denizot, recteur du sanctuaire de Montligeon, situé dans la Perche et dédié à la prière pour les âmes du purgatoire.
Merci et pardon
Selon lui, parfois, il faut du temps pour faire cette démarche. “Je pense à un père dont les deux filles ont été tuées lors des attentats au Bataclan. Il m’a dit qu’il n’arrivait pas à pardonner même s’il ne voulait (et ne pouvait) pas vivre avec le sentiment de haine. En réalité, poursuit-il, son début de désir de réussir un jour à pardonner est déjà le pardon.”
Au sanctuaire de Montligeon, il est possible d’écrire une carte postale à un défunt pour lui dire merci et demander pardon. Il suffit de la remplir et de la déposer dans la boîte aux lettres située à droite de la statue de Notre-Dame Libératrice. C’est par son intercession, que chacun peut alors demander que Dieu fasse connaître le merci ou la demande de pardon adressé au défunt. Comme cette femme qui, dans sa carte, a remercié son père de lui avoir fait le don de la vie et lui a pardonné d’avoir subi de sa part des abus. “Ses mots m’ont bouleversé et, en même temps, ils m’ont permis de voir la force du pardon et de l’amour quand il touche au salut et rend visible l’amour divin”, conclut don Paul Denizot.