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La mixité dans les établissements scolaires, primaire et secondaire confondus, s’est progressivement généralisée après la Seconde Guerre mondiale, non pour des raisons éducatives ou idéologiques, mais pour de simples motifs pratiques : au moment de la reconstruction, il a paru plus économique de mutualiser les infrastructures telles que les cantines, les gymnases, et finalement tout le bâtiment scolaire. Évitons de construire deux écoles pour les enfants d’un même quartier, d’une même famille. Or depuis quelques années la pratique de la mixité est soumise à la question.
Le phénomène de balancier
On trouve encore des établissements, hors contrat ou sous-contrat, proposant des collèges non-mixtes, ou bien organisant des classes non-mixtes au sein de leur établissement. Parmi eux certains se demandent : à quoi bon conserver ce système ? À quoi sert-il de séparer les filles et les garçons, pour finalement dispenser le même cours de maths, d’histoire ou de français ? Quelle différence cela fait-il ? Mais à l’inverse, de nouveaux établissements se créent, y compris au sein de l’Enseignement catholique sous-contrat, en portant un projet spécifique de “mixité partagée” (certains temps et espaces mixtes, d’autres non-mixtes), convaincus du bénéfice de cette forme d’éducation. Comment expliquer ce phénomène de balancier ?
D’une part, les bénéfices de la mixité sont souvent supposés, rarement évalués, ou pas du tout évalués. Par ailleurs, en l’absence d’études comparatives documentées, la non-mixité prend alors la forme d’un pari sur l’avenir et elle devient insensiblement une fin en soi. Autrement dit, absorbés par la réalité quotidienne de l’enseignement, on ne prend pas le temps de se pencher sur la nature des défis que nous voulons relever, et face auxquels nos choix éducatifs ont valeur de moyens. D’où le phénomène de balancier : on rassemble, on sépare, mais on ne sait plus trop pourquoi.
Les filles favorisées
Or il est un défi qui touche spécifiquement l’éducation comparée des filles et des garçons, celui de la réussite scolaire. Certains décalages sont frappants, et préoccupants. Les garçons sortent moins diplômés que les filles du système scolaire et universitaire : 21% des hommes contre 31% des filles sortent munis d’un diplôme valant bac+5. Les garçons sont moins nombreux que les filles à obtenir le baccalauréat (sur une génération estimée en 2018 : 76% contre 86%), à l’obtenir avec mention, et même à aller au bout de leur scolarité (source : ministère de l’Éducation nationale, DEPP).
Au lycée, on constate que 75% des élèves de spécialités à haute teneur culturelle (humanités, langues, géopolitique) sont des filles, et qu’elles surpassent les garçons aux évaluations nationales de français depuis le primaire jusqu’à la fin du secondaire. Les garçons sont plus nombreux que les filles à vivre l’école comme une expérience pénible, injustement punitive, et sont plus souvent impliqués dans des bagarres à l’école primaire.
Horaires, temps passé assis en classe, nombre d’élèves par groupes, emploi du temps, organisation de l’espace, méthodes éducatives : tout semble favoriser les filles et desservir les garçons.
Tout concentrés que nous sommes à déplorer la sous-représentation des filles dans les filières scientifiques ou les inégalités salariales, nous fermons les yeux sur une réalité profondément inégalitaire : le système scolaire tel qu’il existe favorise largement la réussite des filles. Horaires, temps passé assis en classe, nombre d’élèves par groupes, emploi du temps, organisation de l’espace, méthodes éducatives : tout semble favoriser les filles et desservir les garçons.
La réussite de tous
Par conséquent, le choix de la mixité ou non devra être porté par cette finalité : la réussite des uns et des autres à un niveau équivalent. Le choix de la non-mixité aura du sens, s’il se donne ou prend les moyens de tout remettre à plat : créer l’école de la réussite pour les garçons, en renonçant à les conformer de force à un modèle adapté aux filles, en leur créant des espaces où ils pourront aller vers les lettres sans craindre le stéréotype bien ancré : littérature = fille, (car être le seul garçon dans une classe d’Humanités peuplée de filles demande peut-être trop de courage, problème qui ne se pose pas dans un lycée de garçons…), en s’autorisant à repenser la taille des groupes, le temps consacré aux activités en extérieur, la réparation par niveaux, etc. À l’inverse, le défi propre à la réussite des filles concerne à l’évidence leur liberté à aller vers les mathématiques avec confiance, à investir les filières scientifiques sans a priori.
L’inventivité des enseignants est immense et leur liberté pédagogique bien plus grande que ce que l’on imagine. Puisque tout le monde s’accorde à reconnaître que l’Éducation nationale est un gros bateau qui prend l’eau de toutes parts, n’hésitons pas à reprendre la maquette, à reconsidérer nos convictions sur la mixité et non-mixité, sans tabous, sans corset, sans préjugés, mais simplement guidés par le désir de la réussite de tous et le goût d’innover.