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Don Michele Rua, l’alter ego de don Bosco

MICHELE RUA

Public Domain

Don Michele Rua.

Anne Bernet - publié le 05/04/23

Premier successeur de don Bosco, lui-même "ancien" de son patronage, c’est lui qui fut le véritable artisan de l’extraordinaire extension des salésiens. Béatifié en 1972, il est fêté le 6 avril, jour anniversaire de son retour à Dieu, en 1910.

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“Je n’ai pas le temps ! Tu n’as qu’à t’en occuper !” Don Michele Rua est habitué, de la part de don Bosco, à ce genre d’injonctions. Il sait son vieux maître et ami débordé par tout ce qu’il doit faire et c’est bien volontiers, d’ordinaire, qu’il s’empresse de le débarrasser d’un maximum de tâches, quitte à s’épuiser, lui aussi, au travail. Certes, cela ne le rend pas toujours facile à vivre car, à la différence de Giovanni, Michele n’a pas encore appris à modérer son caractère emporté. Cependant, cette fois, la besogne dont son supérieur veut se décharger sur lui semble tout de même dépasser largement ses capacités ! Qu’on en juge : on lui demande rien moins que de faire un miracle, au sens le plus littéral du terme ! 

Comme si c’est lui qui guérissait !

Il y a très longtemps que la réputation de thaumaturge de don Bosco est établie. Comme tous les saints doués de ce charisme, il n’en est pas enchanté car cela lui donne une célébrité qu’il juge déplacée et qui nuit à son humilité. À l’usage, il s’est cependant rendu compte de l’intérêt de ce don : s’il guérit gratuitement les pauvres, don Bosco monnaye ses guérisons auprès des riches et des puissants… Pas à son profit, évidemment, mais à celui de ses œuvres et tel cardinal valétudinaire a payé le soulagement de ses douleurs rhumatismales de son appui, tel banquier agonisant d’un chèque considérable au profit des pauvres — ce grigou a d’ailleurs eu le toupet de marchander…

La femme qui, ce matin, se tient devant les deux prêtres au Valdocco, maison mère de la jeune congrégation salésienne, n’a manifestement pas les moyens de donner un sou en échange de la guérison qu’elle réclame, celle de son bébé très malade. Des malheureux en quête d’un secours surnaturel, il y en a d’autres et rien ne contrarie plus Giovanni que les marques de gratitude qu’ils lui manifestent quand ils sont exaucés. Comme si c’était lui qui guérissait ! Alors, aujourd’hui, pour bien montrer qu’il n’est pour rien dans l’affaire, il a décidé de déléguer ses pouvoirs à son indispensable adjoint. Don Rua le regarde, interloqué : lui, des miracles, il n’en fait pas ; le saint, ce n’est pas lui ! Mais don Bosco lui répète de s’en occuper et de bénir l’enfant en récitant la prière à Notre-Dame Auxiliatrice, leur patronne. Et, parce qu’il fait toujours ce que don Bosco lui demande, Don Rua s’exécute et guérit l’enfant… Merveille de l’obéissance absolue, certes, mais aussi démonstration de ce que Giovanni lui a dit, un jour, quand il n’était encore qu’un gamin désemparé après la mort de son père : “Toi et moi, Michele, nous partagerons tout !” Il a tenu parole. 

Cette graine de gibier de potence

Dieu sait, pourtant, que beaucoup se sont donné du mal pour séparer le petit Rua de ce protecteur qui a l’art de s’attirer des ennemis ! Né à Turin le 9 juin 1837, dernier d’une fratrie de neuf enfants, Michele est le fils d’un contremaître de la manufacture royale d’armement. En 1845, quand son père est mort, on a eu la charité de conserver l’appartement de fonction du défunt à sa veuve mais ce genre de service possède toujours une contrepartie : l’embauche de Michele dans l’établissement dès qu’il en aura l’âge et éviter d’aller contre les intérêts du gouvernement piémontais, lequel est désormais contrôlé par la franc-maçonnerie et ne cache pas son anticléricalisme. Or, depuis quelques mois, l’on s’offusque beaucoup, à Turin, des initiatives d’un jeune prêtre, Giovanni Bosco, capable de se mettre pareillement à dos la bonne société catholique et les ennemis de l’Église. Son crime ? S’occuper de gamins des rues, orphelins, mineurs délinquants que chacun s’entend à juger irrécupérables. Les dévots estiment gâcher leurs aumônes en se souciant de cette graine de gibier de potence, les anticléricaux ne veulent pas donner à l’Église l’occasion de renouer ses liens avec le peuple. Dans ces conditions, don Bosco dérange tout le monde, et en fait péniblement l’expérience.

Pas de roses sans épines

C’est pourtant dans son patronage itinérant, nommé l’Oratoire en souvenir de saint Philipe Néri, que la signora Rua a inscrit son benjamin. Au premier regard, Giovanni, qui possède aussi un charisme de prophétie, a su que Dieu lui envoyait cet enfant pour l’aider à affermir son œuvre à venir, et Michele a su, de son côté, qu’il avait retrouvé un père. Et cela ne plaît pas à l’Arsenal… Le sous-directeur, croisant le petit Rua, lui dit, l’air apitoyé : “Alors, tu vas chez don Bosco ? Est-ce que tu ne sais pas qu’il est atteint d’une maladie terrible dont personne ne guérit ?” et, devant l’incompréhension de l’enfant, il ajoute : “C’est la tête… Tout le monde sait qu’il l’a perdue et qu’il est fou à lier…” Plus tard, en racontant l’épisode, don Michele soupirera : “Je n’aurais pas eu plus de peine s’ils m’avaient dit cela de Papa…” Mais qu’importe ! Fou ou pas, il aime don Bosco et ne le quittera pas, au point de se mériter cette promesse d’être de moitié en tout avec lui. 

Il a quatorze ans, l’âge d’entrer en apprentissage, lorsque don Bosco lui propose de poursuivre ses études en vue du sacerdoce. La signora Rua accepte, en dépit du sacrifice, qu’elle consent, du salaire à venir de son fils. Elle a d’autant plus de mérite qu’en quelques mois, elle perd ses deux aînés. Très choqué de la mort de ses frères, Michele geint qu’il va mourir, lui aussi. Giovanni le regarde : “Rua, tu as cinquante ans devant toi !” Il a raison. Le 26 janvier 1854, Michele et quatre camarades entrent au noviciat tout juste fondé des salésiens ; il prononce ses premiers vœux de religion le 25 mars 1855, est ordonné prêtre le 28 juillet 1860. Au soir de son ordination, don Bosco lui adresse cet avertissement :

Tu auras beaucoup à travailler et beaucoup à souffrir. Il n’y a pas de roses sans épines… Il faut franchir la Mer Rouge et traverser le désert pour atteindre la Terre Promise. Mais confiance inlassable en Dieu !

C’est un peu l’écho de ce que sa mère lui a assené le jour où il est devenu prêtre : “Commencer à dire la messe, c’est commencer à souffrir.” Lien supplémentaire, à la mort de la signora Bosco, c’est Maria Giovanna Rua qui incarnera désormais auprès des garçons et des prêtres l’indispensable rôle maternel.

Un rude caractère

En 1868, après avoir exercé la direction du petit séminaire salésien à Mirabello, don Rua prend la tête du Valdocco. Il a trente ans et s’inquiète d’en tirer vanité. Don Bosco lui rétorque, citant saint Bernard : “Face aux pensées d’orgueil, demandes-toi d’où tu viens, ce que tu fais et où tu vas. Cela remettra chaque chose à sa place.” D’autant mieux que le rude caractère de Michele conduira à lui retirer certaines fonctions, entre autres celle de préfet de discipline car il est trop dur avec les jeunes… Peu après, il tombe malade. On diagnostique une péritonite, incurable à l’époque. Va-t-il mourir, malgré la prophétie de don Bosco ? Celui-ci entre dans la chambre : “Rua, quand tu sauterais du toit, je te garantis que tu ne mourrais pas !” et don Michele se lève, miraculeusement guéri.

Pendant vingt ans encore, il restera à l’école de Giovanni dont il dira : “Je profitais bien plus à l’observer qu’à faire quoique ce soit d’autre.” Se corrigeant à son exemple de ses défauts, il peut, en 1888, à la mort de don Bosco, lui succéder. Les épines promises seront au rendez-vous du nouveau supérieur général, car catastrophes et malheurs vont s’acharner sur l’œuvre : assassinat d’un jeune prêtre par un élève, accidents mortels, comme ce déraillement qui tue un groupe de missionnaires salésiens et les sœurs qui les accompagnent, inondations qui détruisent dix ans d’efforts, scandale de mœurs inventé de toutes pièces pour nuire. Accablé, Michele demande à ses proches de ne plus lui annoncer les mauvaises nouvelles le soir car il n’en dort plus de la nuit. Malade, épuisé, détestant les voyages, il s’astreint pourtant à visiter toutes les maisons et fondations. À sa mort, le nombre de salésiens sera passé de 700 à 4.000, les établissements de 64 à 341. Don Rua s’éteint, au terme d’une agonie douloureuse et longue, le 6 avril 1910. Ses derniers mots seront : “Sauver des âmes, sauver son âme, c’est tout ce qui importe !” Paul VI l’a béatifié en 1972.

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