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Ce quelque chose en nous de Notre-Dame de Paris

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BARRERE JEAN-MARC / HEMIS.FR / HEMIS.FR / HEMIS VIA AFP

Notre-Dame de Paris en flammes, le 15 avril 2019.

Michel Cool - publié le 14/04/23

L’incendie de Notre-Dame, c’était il y a quatre ans, et "quelque chose en nous" se consumait. Les Français ne retenaient pas leurs larmes. Aujourd’hui déchirée, la France ne retrouvera pas sa communion devant les pierres vivantes de Notre-Dame sans la prière des chrétiens, estime notre chroniqueur Michel Cool.

Il y a juste quatre ans, les 15 et 16 avril 2019, un incendie ravageait la cathédrale Notre-Dame de Paris. Devant nos regards sidérés se consumaient, avec une violence de feu inouïe, près de dix siècles d’architecture religieuse, d’histoire de France et de dévotions transcendant les hiérarchies, les origines, les différences humaines. Dix siècles de ferveur et d’admiration étaient dévorés, sous nos yeux en larmes et impuissants, par des flammes inimaginables et qu’on aurait crues sorties des forges de Vulcain ou de l’Enfer de Dante. Le poète François Cheng apparut alors sur nos écrans de télévision pour dire ce que nos lèvres bâillonnées par le chagrin, muselées d’effroi ne pouvaient plus prononcer :

Le peuple français a une révélation. C’est ce monument-là et absolument pas un autre qui incarne notre âme commune chargée de spiritualité et d’histoire. Ce monument est fait de pierres vivantes, c’est-à-dire de chair et de sang parce qu’un cœur n’a jamais cessé d’y battre. Notre-Dame de Paris c’est l’honneur de la France, c’est-à-dire un seul monument qui réunit la beauté et la vérité humaine.

Qu’avons-nous retenu ?

Le moment tant attendu de la réouverture de l’édifice aux croyants et aux visiteurs se rapproche à grandes enjambées. L’impatience commence à gagner les fidèles et les touristes. Mais demandons-nous : qu’avons-nous retenu au fond de cet événement tragique et surtout de l’élan de ferveur et de sympathie sans frontières qu’il avait provoqué ? Car dans cette catastrophe collective — ayons la simplicité de le reconnaître — nous avons tous, croyants, agnostiques ou athées, perdu quelque chose de “sacré”, au sens d’intime et de profondément ancré dans notre cœur : un souvenir d’effervescence religieuse, une grande émotion esthétique, une vive réminiscence familiale, ou, pourquoi pas ? le parfum délicieusement proustien d’une promenade en amoureux…

Que sais-je ! On a tous quelque chose en nous de Notre-Dame de Paris : un film, un opéra-rock, une chanson populaire, un air d’accordéon, une pièce de théâtre… ne serait-ce qu’un morceau choisi du roman éponyme de Victor Hugo étudié à l’école… Ce “quelque chose en nous” a été meurtri et même consumé en même temps que la charpente, la toiture et la flèche de l’auguste cathédrale. Or c’est grâce à l’union aussi spontanée que mystérieuse de ces “quelque chose en nous”, que nous avons pu compatir simultanément entre Françaises et Français et avec les peuples du monde entier, à l’incendie de Notre-Dame de Paris. Au fond n’étaient-ce pas également notre âme et notre cœur qui étaient la proie des flammes quand nous regardions effarés cette grande et vieille Dame, qui veillait sur les courbes de la Seine depuis le temps des rois, s’en aller en fumée ?

Comme des pierres vivantes

“La France est une personne”, écrivait Jules Michelet, chantre épique de notre histoire nationale. “Nos monuments sont le plus grand songe de la France”, disait André Malraux, le plus métaphysicien des ministres de la Culture que notre République ait jamais porté. Tous deux, chacun à son époque et selon son éloquence, nous exhortent à considérer nos monuments comme des pierres vivantes, et à les aimer comme telles. “C’est elles qui nourrissent notre communion la plus profonde. C’est par elles que les combats, les haines et les ferveurs qui composent notre histoire s’unissent, transfigurés, au fond fraternel de la mort”, déclarait encore un Malraux très en verve à la tribune de l’Assemblée nationale en 1961, quand il défendait son projet de restauration des monuments historiques : une politique volontariste et ambitieuse qui valut à Notre-Dame de Paris de retrouver sa parure perdue, sa blancheur originelle.

Depuis d’interminables semaines, notre pays se divise et se déchire sans répit. Il donne au reste du vaste monde le spectacle désolant d’un peuple énervé, incapable de se parler et de se regarder autrement qu’entre chiens de faïence. Autrement ? c’est-à-dire en Français, fils et filles, certes divers et variés, mais héritiers d’une même histoire et coresponsables d’un même avenir, habitants d’une même planète aussi incertaine que complexe. Notre pays n’est sans doute pas encore prêt à pouvoir s’arrêter et méditer devant les pierres vivantes de ses monuments, pour se laisser “transfigurer” par elles et retrouver, grâce à elles, le chemin de la communion, comme disait Malraux. Pour cela, il faudrait que nous retrouvions ce surcroit d’âme avec lequel se cimente la fraternité. Il faudrait que nous ayons à nouveau une révélation comparable à celle que nous procura l’incendie de Notre-Dame de Paris. 

Prier pour la France

En écrivant ainsi, je ne souhaite naturellement pas qu’un nouveau malheur frappe la France. Non, je pense plutôt à une initiative moins nocive et surtout plus bienfaitrice. Ne devrions-nous pas davantage, nous chrétiens, emboîter le pas à nos concitoyens de confession juive ? Ils prient régulièrement pour la France et pour les Français. Qu’est-ce qui nous empêche de faire de même à domicile et dans nos églises ? Doutons-nous à ce point de l’efficacité de la prière ? “Ma bombe atomique c’est la prière”, disait Giorgio La Pira, ancien maire de Florence reconnu vénérable par l’Église. Ou bien d’autres scrupules nous en empêcheraient-ils ?

Le quatrième anniversaire de l’incendie de Notre-Dame de Paris et les circonstances sociales et politiques que nous connaissons devraient nous inviter à prier sans ambages pour la France. Et à nous comporter ainsi en “pierres vivantes” de la communion à rebâtir entre les Français.

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