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Les leçons de vie de la justice restaurative

JE-VERRAI-TOUJOURS-VOS-VISAGES

© IMDb

Henri Quantin - publié le 26/04/23

Le film “Je verrai tous vos visages”, en salle depuis le 29 mars, met en scène des expériences de justice restaurative, où dialoguent des personnes victimes et auteurs d’infractions. L’écrivain Henri Quantin y a vu des leçons d’humanité et de vérité d’autant plus justes qu’elles évitent les bons sentiments.

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Reconnaissons que nous ne savions à peu près rien de la justice restaurative avant de voir le très beau film de Jeanne Herry, Je verrai toujours vos visages. Confessons même que le principe sur lequel cette justice se fonde, l’enrichissement mutuel de victimes et de coupables qui se rencontrent, nous aurait facilement laissé dubitatif. Irénisme, confusion entre l’ordre de la justice et l’ordre du pardon, remise en cause d’un système judiciaire jugé trop répressif…, tous ces soupçons viennent vite à l’esprit de celui qui se méfie du rousseauisme de Jean-Jacques, qui nie le péché originel, et du rousseauisme de Sandrine, qui dit un peu vite que “ce n’est pas parce que la police a le monopole légitime de la violence qu’elle doit l’utiliser”.

Du dialogue peut naître une prise de conscience

Or, tous ces soupçons disparaissent à l’instant même où on s’informe sur ce dont il s’agit. Le portail du ministère de la Justice définit la justice restaurative (ou réparatrice) ainsi : “Pratique complémentaire au traitement pénal de l’infraction, la justice restaurative consiste à faire dialoguer victimes et auteurs d’infractions (qu’il s’agisse des parties concernées par la même affaire ou non). Les mesures prises, selon des modalités diverses, visent toutes à rétablir le lien social et à prévenir au mieux la récidive.” Du dialogue peut naître ainsi une prise de conscience plus nette de tout ce que met en jeu une agression. Le coupable découvre parfois les conséquences que peut avoir, par cercles concentriques, un acte devenu presque banal à ses yeux. Cela va des insomnies jusqu’à l’incapacité à ressortir de chez soi, quand ce n’est pas divorce ou perte d’emploi. “Vous croyez voler un sac à main à la tire et vous détruisez une vie”, disent en substance certaines victimes.

La guérison d’une peur incontrôlable peut s’amorcer ainsi.   

Parfois, la situation s’inverse et c’est une victime qui fait une découverte grâce à un coupable. Sans recours à l’affectif mièvre, le film de Jeanne Herry en donne un exemple concret, aussi simple que factuel : à une employée traumatisée par le braquage de sa supérette et terrorisée à l’idée que le coupable, toujours en liberté, la retrouve dans la rue, un détenu répond que le plus probable est que l’homme sera le premier à fuir, de peur d’être reconnu. Nul bon sentiment dans l’échange, mais un simple changement de point de vue dicté par des expériences très différentes. La guérison d’une peur incontrôlable peut s’amorcer ainsi.   

La garantie du secret

En 2017, Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, a précisé le cadre de la justice restaurative, dans une circulaire qui dresse des garde-fous contre les usages naïfs ou les détournements pleins d’arrière-pensées. On y constate notamment la totale autonomie du dispositif vis-à-vis de la procédure pénale : aucune incidence sur la décision d’engager des poursuites ou de classer, aucune mention, si l’affaire a déjà été jugée, dans le dossier du condamné.

Comme pour la confession, c’est probablement la garantie du secret qui rend possible des paroles de vérité.

Hors de question, donc, de se substituer au domaine pénal ou de court-circuiter ses agents. À cela s’ajoute une complète confidentialité, au point que “les propos tenus par les parties, et notamment la reconnaissance des faits par l’auteur, ne peuvent être utilisés comme aveu judiciaire”. Comme pour la confession, d’ailleurs, c’est probablement la garantie du secret qui rend possible des paroles de vérité. La justice restaurative, enfin, exige une nécessaire évaluation de “la pertinence de ce mode d’accompagnement, en particulier lorsque les infractions sont commises dans la sphère familiale, en raison de l’emprise possible, notamment d’un ascendant sur une victime mineure”.

Un poids d’humanité et de vérité

Toutes ces précisions relèvent d’une prudence qui a cruellement fait défaut dans bien des affaires de prêtres pédocriminels, quand le but semblait surtout de garantir au coupable le pardon de sa victime, en s’imaginant que cela pouvait dispenser du traitement pénal de l’infraction. On pense à la confrontation totalement ratée de Bernard Preynat et d’Alexandre Hezez, futur co-fondateur de la Parole Libérée, à qui on avait proposé de dire un Notre Père avec son agresseur. À cette parodie de réparation, dont tous les dés étaient pipés, un cas présenté par Je verrai toujours vos visages offre un contrepoint plein d’enseignements. Nous sommes dans ce qu’on appelle “une médiation auteur-victime” (qu’on distingue des “rencontres condamnés-victimes”, groupe de parole dans lesquels les personnes qui se rencontrent n’ont aucun lien entre elles). Une jeune fille, violée dès l’âge de sept ans par son frère qui en avait treize, a fini par porter plainte contre lui quand elle a eu dix-sept ans. Condamné, il a fait trois ans de prison. Apprenant qu’il va revenir dans les environs, elle souhaite une entrevue avec lui, paradoxalement pour ne pas courir le risque de le rencontrer par hasard. Dans cette médiation sous haute tension, rien n’est laissée au hasard, rien n’est forcé : très longue préparation de la rencontre, qui peut être annulée à tout moment, prise en compte des différents scénarios possibles pour évaluer avec la victime ce qu’elle est capable ou non d’entendre de la bouche de son agresseur, explicitation préalable de ce que chacun attend de la confrontation sans présupposer qu’elle doit mener au pardon… Tout cela donne à des larmes de cinéma un poids d’humanité et de vérité que n’ont pas toujours celles de la vie réelle.

Leçons de vie

Le paradoxe est au moins aussi vieux qu’Hamlet : des hommes qui n’ont pas pleuré à l’enterrement de leur père versent des larmes devant la même scène jouée par des acteurs. Preuve que l’art est plus vrai que la vie ? Signe, en tout cas, qu’il offre des leçons de vie d’autant plus justes qu’elles évitent les bons sentiments. L’art pourrait bien être, tout autant que la justice restaurative, “une pratique complémentaire au traitement pénal de l’infraction”.

Tags:
CinémaJustice
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