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À Sénanque, l’Invisible est là pour panser les plaies des blessés de guerre

association les Invaincus, militaires blessés, abbaye de Sénanque

Crédit © Les InvaincuS

Militaires et bénévoles réunis pour un stage à l'abbaye de Sénanque.

Anne-Sophie Retailleau - publié le 20/05/23

Fondée en 2017, l’association les InvaincuS accompagne des militaires blessés psychiques. Deux fois par an, militaires et bénévoles viennent se ressourcer à l’abbaye cistercienne Notre-Dame de Sénanque. Une étape sur un long chemin de reconstruction.

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Les sacs tout juste déposés dans le grand couloir de l’hôtellerie, et déjà rires et anecdotes vont bon train. Comme une joyeuse bande d’amis réunis pour les vacances, chacun est heureux de se retrouver. À première vue, impossible de distinguer dans ce petit comité les militaires blessés des bénévoles. Ici, tout le monde est à égalité et chaque participant a sa place dans le groupe. “La familiarité est une règle qui permet d’instaurer un climat de confiance”, note Jean-Baptiste Latrémolière, ostéopathe bénévole. Laëtitia Maligne, psychologue, affiche le programme de la semaine dans un coin de la grande salle à manger. Rien à voir avec la rigueur militaire à laquelle beaucoup sont habitués. Le mot d’ordre ? Se détendre et prendre le temps. 

“La blessure ne nous définit pas”

Cela commence par un programme personnalisé. Dans ce quatrième stage organisé par les InvaincuS, les bénévoles mettent leurs compétences au service du bien-être des blessés. Chacun a droit à sa séance de kiné, d’ostéopathie, ou encore de médecine chinoise. Le plus important est de ne pas oublier de soigner l’esprit en même temps que le corps. Laëtitia Maligne propose des temps de parole et des séances d’EMDR (une méthode focalisée sur le traitement du traumatisme, NDLR).

Je ne connais pas l’histoire de la plupart de ceux qui sont ici, mais cela ne nous empêche pas de tisser des liens très forts.

L’occasion pour les participants de se livrer sur leurs difficultés. “On en a marre de parler de l’accident, on le fait déjà beaucoup avec toutes les démarches administratives”, explique Elodie, militaire dans l’armée de l’air. “Chacun est libre de parler, précise Sébastien Breissan, fondateur et président de l’association Les Invaincus, la blessure ne nous définit pas, on est d’abord des êtres humains.”  

Le traumatisme vécu est le ciment d’une profonde solidarité entre les membres, celle du sang versé. Mais l’accident n’est jamais au centre des discussions. “On cherche à limiter les déclencheurs, et raconter c’est déclencher, indique Laëtitia Maligne, je ne connais pas l’histoire de la plupart de ceux qui sont ici, mais cela ne nous empêche pas de tisser des liens très forts.”

La blessure est une souffrance à laquelle d’autres viennent parfois s’ajouter : le manque de reconnaissance, la solitude face à de lourdes démarches administratives, l’insuffisance des aides pour supporter le coût des soins et faciliter le retour à la vie civile. Autre difficulté pour ces hommes et ces femmes formés pour protéger, celle d’accepter la vulnérabilité. “C’est frustrant d’être à la place du blessé. D’habitude, c’est moi qui soigne”, témoigne Laëtitia, militaire blessée qui participe à son premier stage. 

Trouver son propre moule

En parler fait du bien, sans compter l’aspect pratique du partage. “Les cellules d’aide sont très peu développées et il faut souvent se débrouiller seul. L’association sert aussi à se donner des tuyaux”, explique Sébastien. Entre chaque activité, militaires et bénévoles partagent de longs moments d’échanges, toujours ponctués de franches rigolades. 

 “L’armée fonctionne comme un moule, raconte François, 25 ans, une fois hors du cadre, on se sent perdus parce que l’on n’a plus les codes de la vie civile.” Le benjamin du groupe, que tous ici surnomment “Fanfan”, s’est engagé dans l’armée par idéal, à 18 ans. Toutes ses années de jeune adulte, il les a passées dans les rangs militaires. Désormais, François entame une reconversion pour intégrer les équipes d’entretien des espaces verts à Alès.  

L’association considère le contact avec la nature comme essentiel. Dans ce lieu si singulier, loin du vacarme du monde, chacun trouve le calme et l’apaisement nécessaires. Les liens se tissent aussi au cours de longues balades sur les sentiers étroits du Luberon, où les promeneurs peuvent sentir à chaque pas le parfum du thym provençal.

Sur le chemin, François sait nommer toutes les plantes que lui montrent ses camarades attentifs. Tous se prêtent au jeu de la cueillette des asperges sauvages qui seront rapportées plus tard à la cuisine du monastère. “On apprend beaucoup au contact de la nature, cela permet de se recentrer sur soi, de découvrir une dimension spirituelle”, témoigne Elsa, infirmière militaire. Comme François, la jeune femme est passionnée de botanique. Traumatisée après une mission en Afghanistan, c’est le retour à la terre qui lui a permis de s’engager sur un chemin de reconstruction. 

L’invisible au cœur de la reconstruction

S’émerveiller devant la beauté de la création conduit beaucoup de ces blessés à s’interroger sur l’invisible. Retrouver des repères passe par une quête de sens. A la création des stages de l’association, Sébastien Breissan met un point d’honneur à choisir une abbaye comme lieu d’accueil. “À la question de savoir pourquoi j’étais encore en vie, seul un moine a su me donner la réponse”, témoigne ce catholique fervent, ancien fusilier commando de l’Air et victime d’un accident en 2013. 

À la question de savoir pourquoi j’étais encore en vie, seul un moine a su me donner la réponse.

Mais chacun reste libre de croire ou non. Les stages sont ouverts à tous ceux qui en ont besoin, dans la gratuité la plus totale. En visitant le monastère, le petit groupe considère avec admiration ces murs de calcaire à la beauté simple et noble. Dans l’entrebâillement d’une porte qui sépare le cloître de l’église abbatiale, les visiteurs observent le travail des ouvriers occupés au dallage de la nef. Comme un écho au parcours de ces hommes et femmes blessés en servant leur pays, l’abbaye se relève lentement, sauvée in extremis de la ruine. 

De retour à l’hôtellerie, certains discutent quand d’autres s’attablent pour dessiner ou lancer un jeu de société. Sébastien observe tranquillement. Attentionné, le grand brun à la carrure de rugbyman vient s’assurer que chacun se sent bien. “Faire le trajet pour venir en stage dans un lieu inconnu n’est pas facile, et c’est déjà en soi une victoire”, assure-t-il. “Remonter la pente peut prendre toute une vie”, ajoute François. La route est longue, mais l’espérance est là, invaincue. 

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