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La voie de la charité intellectuelle de saint Paul VI

Paul VI

© Michel Cool

Paul VI, détail, par Dina Bellotti

Michel Cool - publié le 27/05/23

L’Église fête ce 29 mai saint Paul VI. Notre chroniqueur Michel Cool rappelle un trait particulier de sa personnalité : il avait un sens aigu de ce qu’il appelait "la charité intellectuelle". Il en usait avec deux armes de l’esprit : la conversation et l’humour, et non sans courage.

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Le pape François va remettre le 29 mai le Prix international Paul VI au président de la République italienne, Sergio Mattarella. Cette distinction est décernée par l’Institut Paul VI de la ville lombarde de Brescia. Ce lieu d’archives et d’études perpétue l’œuvre et la pensée du pape du concile Vatican II, non loin de sa maison natale à Concesio. Le président italien est distingué pour son action politique au service du bien commun.

Les précédents lauréats de ce prix prestigieux, créé en 1979, illustrent divers secteurs de l’activité humaine où la charité chrétienne peut se déployer avec talent : citons pour mémoire, la philosophie avec Paul Ricoeur en 1983, la théologie avec Hans Urs von Balthasar en 1984 ; la musique avec  Olivier Messiaen en 1988 ; l’œcuménisme avec Oscar Cullman en 1993 ; l’édition avec la collection “Sources chrétiennes” en 2009, etc. Cette année, c’est donc la politique qui est honorée avec le président Mattarella, le jour même de la fête liturgique de saint Paul VI. 

Les armes de la conversation et de l’humour

Cette remise de prix permet d’évoquer un aspect  méconnu mais très actuel de la personnalité de Jean-Baptiste Montini-Paul VI (1897-1978) : il avait un sens aigu de ce qu’il appelait “la charité intellectuelle”. Elle  consistait pour lui à écouter et à estimer des points de vue opposés au sien. À ne jamais les maudire ou les mépriser. À ne pas répondre à leur éventuelle agressivité sur la même tonalité.

La “charité intellectuelle” n’était ni un renoncement à soi-même, ni une peur lâche d’annoncer sa couleur. Au contraire ! Pour Montini, c’était l’art patient et durable de se montrer persuasif, en préparant ses arguments, en ajustant ses mots, en restant maître de lui, en mettant en cohérence ses paroles et ses actes. Il privilégiait ainsi deux armes de l’esprit : la conversation et l’humour, à ne pas confondre avec l’ironie blessante. On rapporte à ce sujet cette anecdote : après avoir lu le brûlot du théologien Hans Küng contre l’infaillibilité pontificale, le pape avait eu ce mot : “Il critique de manière infaillible mon infaillibilité !”

Montini savait par expérience personnelle que la “charité intellectuelle” était un défi difficile. Dans sa jeunesse, il avait collaboré à des revues catholiques engagées qui combattaient sur deux fronts à la fois, le fascisme et le laïcisme de gauche. Ses compagnons de lutte et lui avaient souffert de leur faiblesse face à la tyrannie et la fureur de leurs adversaires. Mais à la fin des fins, ce fut quand même ce en quoi ils croyaient qui remporta la victoire ; celle, toujours précaire du reste, de la liberté et de la dignité humaines. Montini avait tiré de cette histoire dramatique une leçon de vie pour lui-même : la prudence et la persévérance sont, comme aurait dit Sully, “les deux mamelles” de la charité intellectuelle.

Une forme de résistance spirituelle

Il est bon de s’en souvenir aujourd’hui quand l’intolérance et l’intimidation atteignent des pics inquiétants dans notre vie politique, culturelle et sociale. Un chrétien digne de ce nom ne peut pas participer à cette virulence ambiante. Il ne peut pas hurler avec les loups pour assouvir sa colère ou son ressentiment. Il ne peut pas mordre ses adversaires pour attirer sur lui l’œil pervers de médias fourvoyés. Il ne peut pas obéir à la nouvelle loi d’airain, furieusement répandue et banalisée : “Tu haïras ton prochain”, simplement parce qu’il pense différemment de toi ! Sinon ce chrétien est purement disqualifié par la morale évangélique et par le simple bon sens : il devient parjure, blasphème, apostat du commandement suprême du Christ. 

La charité intellectuelle est une forme de résistance spirituelle à la barbarie qui pas à pas, petit à petit, s’insinue et s’installe dans nos modes d’existence collectifs.

La voie de la fidélité, de la sagesse et du courage, c’est donc celle de “la charité intellectuelle”. Elle implique de travailler sans repos son intelligence, de chercher des solutions fiables aux problèmes de l’heure et de prendre un peu de hauteur pour éviter de dévaler dans des caniveaux déjà bien encombrés ; mais elle nécessite aussi de garder constamment son oreille collée à la rumeur du monde, comme on écoute le bruit de la mer dans un coquillage. La charité intellectuelle est une forme de résistance spirituelle à la barbarie qui pas à pas, petit à petit, s’insinue et s’installe dans nos modes d’existence collectifs.

Sa sainteté longuement cachée

“Votre charité intellectuelle de bon Samaritain, en se penchant sur l’humanité blessée, en s’efforçant de la comprendre et en lui parlant son langage, contribuera efficacement à la replacer dans les indéclinables et salvatrices perspectives de sa vocation divine”, écrivait en 1944 Jean-Baptiste Montini, alors collaborateur du pape Pie XII, au philosophe français Maurice Blondel. Cette citation épistolaire reflète et exhale bien la sainteté longtemps cachée de celui qui, devenu pape de 1963 à 1978, saura discerner dans l’évangile du bon Samaritain la spiritualité intrinsèque du concile Vatican II.

Oui, le bon Samaritain demeure une source d’inspiration exigeante et urgente pour le chrétien qui, face à la funeste tentation actuelle de tout conflictualiser, fait l’option courageuse de la charité intellectuelle, pour ne pas renoncer à lui-même et surtout pas au Christ.  

Tags:
CharitéPape Paul VI
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