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Sur la route de Chartres, l’expression de l’ordinaire

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Notre-Dame de Chrétienté

Benoist de Sinety - publié le 04/06/23

Curé de la paroisse Saint-Eubert de Lille et ancien responsable des aumôneries étudiantes d’Ile-de-France, le père Benoist de Sinety revient sur le pèlerinage de chrétienté à Chartres, en se demandant pourquoi les prêtres ne peuvent pas y célébrer selon le rite romain ordinaire.

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La crainte d’être mal compris ou jugé insincère ne doit pas s’avérer un frein pour exprimer une conviction profonde… Surtout lorsque celle-ci est source d’une réelle inquiétude. Depuis la Pentecôte, le Landerneau catholique bruisse d’une joyeuse nouvelle. Même les journaux qui lui semblent les moins proches relèvent le chiffre record de la participation au “pèlerinage de chrétienté” depuis Paris vers Chartres. J’ai eu pendant onze ans bien des occasions de réfléchir à ce succès montant, tandis que je m’occupais des aumôneries étudiantes d’Île-de-France et que nous voyions sans parvenir à inverser la tendance la décrue spectaculaire qui s’opérait pour le pèlerinage des étudiants vers Chartres lors des Rameaux. Avec les aumôniers et les responsables, avec les évêques aussi, nous avons élaboré bien des théories, bien des explications. En vain.

Le droit de célébrer la messe

Comme d’autres, je voyais bien des étudiants fréquentant nos aumôneries et y remplissant parfois des missions éminentes, des jeunes nourris par l’enseignement de parcours comme Even et engagés dans les différents mouvements de scoutisme, qui, tout en participant au pélé des étudiants, retournaient à Chartres deux mois plus tard toutes bannières déployées. Ils me disaient, ces jeunes, de venir avec eux. Et je ne le pouvais pas. La raison ? Tout simplement que je n’aurais pas eu le droit d’y célébrer la messe. Aussi déroutant qu’il y paraisse, alors que le pape Benoît XVI venait d’ouvrir généreusement la possibilité de célébrer le rite romain dans la forme extraordinaire à tous ceux qui le désiraient, il était impossible de le célébrer dans la forme ordinaire durant les trois jours du Pèlerinage de chrétienté. En est-il toujours ainsi ? Je me réjouirais d’apprendre la bonne nouvelle que l’ordinaire trouve droit désormais de s’exprimer à côté de l’extraordinaire. Ce qui serait, en bonne grammaire, la moindre des choses…

La ferveur des jeunes et des moins jeunes qui marchent vers la cathédrale chantée par Péguy n’est pas en doute. Pas plus que leur désir sincère de se mettre en présence du Seigneur, sous le soleil ou les orages des plaines de Beauce. Mais, profondément, revient au fond de mon cœur cette question qui se pose d’abord aux clercs, d’autant que tout est fait pour en dissimuler la pertinence aux participants : pourquoi ?

Les mots ont un sens

Certes, les derniers motu proprio en ce domaine du pape François ont supprimé du lexique les formes “ordinaire” et “extraordinaire”. C’est que, semble expliquer le Pape, l’extraordinaire avait tendance parfois à devenir l’ordinaire, voire à considérer l’ordinaire comme négligeable ou, pire, méprisable. Les mots ont un sens, et Benoît XVI était trop homme de culture et de finesse pour ne pas choisir avec soin les termes qu’il employait. La distinction qu’il opéra lui-même entre les liturgies n’est donc pas affaire de dignité mais, pourrait-on dire, de normalité. Ce qui me trouble ce n’est pas qu’on puisse célébrer la messe sous une forme qui sorte de l’ordinaire. Non, ce qui me trouble c’est qu’on s’interdise de la célébrer de manière ordinaire. Comme si cet ordinaire était indigne ou indigent. Comme si, d’un coup, on se croyait plus profond qu’une assemblée de Pères conciliaires. Comme si on rejetait la tradition apostolique en prétendant avoir le droit d’y faire son inventaire. 

Le succès indéniable du Pèlerinage de Pentecôte ne portera du fruit que s’il s’ouvre à l’ordinaire de ce que propose l’Église.

Je connais bien des baptisés, prêtres comme laïcs, qui aiment la messe du concile de Trente que le missel de saint Jean XXIII avait juste avant le concile de Vatican II, une nouvelle fois, modifiée. Je les sais hommes et femmes pieux et fervents, croyants et désireux d’être disciples dans une société devenue irreligieuse. Je sais aussi qu’à notre époque où chaque minorité tire sa légitimité d’une victimisation épuisante pour l’unité d’un peuple, la tentation est forte de se présenter sans cesse comme victime d’un pouvoir romain ou épiscopal que l’on dénonce alors comme autoritaires, tout en rejetant toute idée de synodalité.

La question du pourquoi

Je dépose simplement cette question du pourquoi et de ses conséquences. Car à dénigrer ainsi la liturgie par laquelle s’exprime la foi de centaines de millions de personnes de par le vaste monde, ne prend-on pas le risque de laisser croire qu’il y a plus de vérité dans le rite d’un petit nombre que dans celui de l’immense majorité, et que la participation de 16.000 pèlerins de tous âges, est plus signifiante que les 35.000 jeunes aux JMJ de Cracovie en 2016 (sans préjuger d’une participation annoncée comme record pour Lisbonne cet été) ? Avec, dans le non-dit qui fait sourire aux anges certains, que les prêtres qui célèbrent ce rite “ancien” seraient de meilleurs ministres que ceux qui reconnaissent sans états d’âme la dimension normative de tous les conciles, jusqu’au dernier ?

Pourquoi vouloir établir entre nous des différences de légitimité ? Dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, lors des premiers camps scouts, et même lors des pèlerinages vers Chartres des années cinquante, nos aînés surent faire évoluer la liturgie “immuable” depuis 1563, pour l’adapter aux évolutions du monde. C’est à cette époque que les messes en extérieur furent autorisées, que la Parole de Dieu y fut lue en français sans proclamation en latin, que la mixité fit son apparition et que les prêtres obtinrent le droit d’absoudre hors de leurs confessionnaux… Pourquoi donc aujourd’hui se refuser à célébrer aussi avec le missel courant ? Alors que nous sommes bien d’accord sur le fait qu’on ne devient pas prêtre pour soi, mais pour les autres. 

L’unité de l’Église

Le succès indéniable du Pèlerinage de Pentecôte ne portera du fruit que s’il s’ouvre à l’ordinaire de ce que propose l’Église. Faute de quoi il risque fort d’entretenir une illusion de catholicité dénaturée par un entre-soi au bout du compte mortifère pour le corps tout entier. À ce titre, on ne peut qu’être désorienté de découvrir que le prédicateur officiel de l’édition 2023 est le même qui exulte devant un youtubeur d’extrême-droite, cogneur de femmes, dans lequel il dit voir le renouveau de la foi s’incarner… tout en appelant à un “catholicisme viril”… Que nous, prêtres, ne comprenions pas que nos renoncements silencieux à célébrer l’unité de l’Église entraînent nombre de ses membres vers des zones dangereuses, est une source d’inquiétude. Sans doute ne méditons-nous pas assez sur les mises en garde que Jésus dans l’Évangile ne cesse d’adresser aux prêtres de son temps, ceux dont nous aurions bien tort de penser qu’ils sont sans lien avec nous et qui, autour du temple de Jérusalem, estimaient que le salut tout entier se trouvait dans la Loi. Tout en s’en exemptant volontiers par ailleurs…

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