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Un article du Parisien publié fin mai est passé quasiment inaperçu. Il est question de la hausse considérable des mariages forcés sur le territoire national, depuis le confinement. Nombre de jeunes filles se sont vues imposer des unions non consenties, auxquelles elles se sont trouvées contraintes à la faveur d’un séjour “au pays”. “En trois ans tout est reparti à la hausse, on a perdu trente ans de travail”, déplore Isabelle Gillette-Paye, directrice générale de la Fédération GAMS (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants). Les témoignages sont poignants : maltraitances, viols, et réclusion contrainte sont le quotidien de nombre de ces femmes. L’association en question cible particulièrement les pays du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne. Il est évident que ces pratiques sont indéfendables et que la lutte contre les mariages forcés sert les droits et les libertés fondamentales des filles et des femmes.
Une comparaison désastreuse
Ce qui ne manque pas de surprendre est la comparaison surréaliste faite entre ces mariages forcés dont un témoignage bouleversant est donné, avec les mariages dits bourgeois : “C’est le même système dans le bal des débutantes” affirme la directrice du GAMS. Mettre en quelques lignes, sur le même plan, le martyre de la jeune Nour, séquestrée et violée, et les jeunes filles qui paradent le sourire aux lèvres en robe blanche dans l’espoir plus ou moins avoué de trouver un garçon de leur milieu à épouser, est pour le moins surréaliste. La sociologue reprend en réalité quasiment mot pour mot un propos qu’elle soutenait déjà en 2005 dans la revue semestrielle de France Terre d’asile : selon elle, bal des débutantes et rallyes sont des cas de figures dans lesquels les enfants sont instrumentalisés par leurs parents, et monnayés pour des intérêts supérieurs (l’augmentation du patrimoine familial). La comparaison cherche à épingler les mœurs bourgeoises ; elle a en réalité pour effet désastreux de minimiser les tragédies vécues dans ces cultures où, disons-le, le christianisme n’a pas droit de cité, ces cultures où les droits des femmes valent moins que ceux des hommes.
On en retient plusieurs choses : il faut savoir tout d’abord que le consentement mutuel est un fruit du christianisme. Le christianisme a mis des siècles à imposer en Occident le consentement mutuel comme condition même d’un “vrai” mariage. On voit dès le IXe siècle les évêques vérifier qu’il n’y a pas eu rapt de la jeune fille. On sait qu’au Xe siècle, le rôle du prêtre consiste justement à s’assurer, après enquête préalable, du libre consentement de la femme. Au XIIIe siècle, Hugues de Saint-Victor donne le premier grand exposé de théologie du mariage :
Le consentement spontané et légitime par lequel l’homme et le femme se constituent débiteurs l’un de l’autre : voilà ce qui fait le mariage.
Ce qui signifie que l’homme et la femme se donnent l’un à l’autre : il y en pas un qui prend, qui s’approprie l’autre. Et ceci allait à l’encontre des pratiques et traditions sociales. On comprend alors pourquoi le mariage ne peut être une simple affaire privée : sortir, comme l’a fait l’Église, le mariage du cadre domestique, garantit les libertés.
Avoir des raisons d’aimer
On en retient également une leçon de réalisme et peut-être d’humilité. Rallyes et autres bals d’appariements sont souvent l’expression fort peu évangélique de la recherche d’un entre-soi social. Et la pratique de l’entre-soi produit un insensible conditionnement peu compatible avec la liberté de décision. Cependant n’ayons pas la naïveté de croire que l’amour est étranger à la raison : se marier librement ne signifie pas se marier sans raison ou contre toute raison ! Un choix profondément libre et amoureux peut être guidé par une multitude de ressorts inconscients, qui relèvent comme le dit Bergson d’une certaine “conception du bonheur”, enracinée en nous depuis l’enfance. Avoir des raisons d’aimer et de choisir quelqu’un, parce qu’il entre en résonance avec des attentes dont nous sommes porteurs, n’est-ce pas l’histoire de bien des couples? Et souvent les rencontres “téléphonées” font des histoires durables et heureuses.