Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l'avenir d'Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l'impôt sur le revenu
Deux femmes belges sont à l’origine de la Fête du corps et du sang du Christ, que nous avons fêté ce dimanche : Julienne de Cornillon et Ève de Liège. Vers 1220, elles se sont adressées à l’archidiacre de Liège, le futur pape Urbain IV, pour demander l’instauration d’une fête du Saint Sacrement, qui commença alors à être célébrée en Belgique. Une fois le liégeois devenu pape, et à la suite d’un miracle eucharistique survenu en 1263, il étend cette fête à l’Église universelle en 1264. C’est tout naturellement qu’il s’adresse au grand théologien de l’époque, qui vivait comme lui à ce moment-là à Orvieto en Ombrie, le frère dominicain Thomas d’Aquin, pour composer la messe et l’office de la fête. Thomas y intègre un poème qu’il avait écrit auparavant pour l’office du Jeudi Saint, le « Chante, ma langue » (Pange, lingua).
Sur le modèle de l’Iliade
Le dominicain condense en six couplets une riche évocation du Christ eucharistique. Il mêle dans son poème, qui commence sur le modèle de l’Iliade (“chante, ma langue…”) la louange et la méditation théologique. Le premier couplet annonce le thème : la louange donnée au corps et au sang du Seigneur.
Le début du second couplet, à travers un puissant redoublement où seule une lettre change (“nobis datus, nobis natus“) présente sa grande ligne de lecture : l’eucharistie s’inscrit dans le prolongement du don de lui-même que le Fils de Dieu a déjà accompli en se faisant homme pour nous, un homme qui “a vécu avec nous et nous a enseignés”.
Le troisième couplet rappelle les circonstances de l’instauration de l’eucharistie à la dernière Cène, et insiste d’une part sur la fidélité de Jésus au rituel hébraïque et de l’autre sur l’intimité qui le lie à ses apôtres.
Le premier vers du quatrième couplet — qui constitue le cœur de l’hymne — reprend l’idée ancienne, déjà présente chez les premiers Pères de l’Église, du parallélisme entre le Verbe fait chair et la puissance de la parole qui “s’incarne” dans le pain et le vin : “Lui la parole faite chair, par sa parole il fait du pain sa chair véritable.”
Une fois la merveille de cette transformation évoquée, Thomas en proclame la conséquence : il convient d’adorer — et même, d’adorer à genoux — ce corps et ce sang donnés pour nous. L’opposition, deux fois rappelée, entre la foi et les sens est une incitation à ne pas s’arrêter à ce qui fait butter notre raison, mais à s’ouvrir largement à la confiance en la parole du Seigneur. Enfin, le dernier couplet réécrit la conclusion de toute prière chrétienne, la “doxologie” (gloire au Père, au Fils et au Saint Esprit) en l’enrichissant par la théologie du Fils, “engendré, non pas créé” et de l’Esprit, “qui procède des deux”, proclamée dans le Credo :
« Chante, ma langue »
Chante, ma langue, le mystère du corps glorieux
Et du sang précieux, que le Roi de la terre,
Issu d’un noble sein, répandit en rachat du mondeDonné pour nous, né pour nous d’une vierge pure,
Lui qui vécut dans le monde et y sema sa parole,
Mit un terme admirable à son séjour ici.La nuit de la dernière Cène, avec ses frères,
Ayant pleinement observé la loi dans ce repas sacré,
De ses propres mains il se donne aux douzeLui la parole faite chair, par sa parole il fait du pain sa chair véritable
Et le vin devient son sang. Alors, si nos sens buttent,
La foi sincère suffit seule à affermir notre cœur.Vénérons à genoux un si grand sacrement
Que l’ancienne forme laisse place au nouveau rite
Et que la foi supplée aux limites des sensÀ Celui qui engendre et à l’engendré, louange et jubilation
Salutation, honneur, puissance et bénédiction
Et que même louange soit donnée à Celui qui de chacun d’eux procède.
La tendresse du théologien
À travers ces lignes sobres et fermes quoique élégantes, transparaît la proximité, presque une tendresse du théologien, pour son Seigneur qui s’est fait proche de nous, dans sa chair puis dans l’eucharistie, lui qui lui est apparu et lui a dit un jour à Naples : “Thomas, tu as bien parlé de moi.”