La fête des mères… depuis quelques années, une fête pourtant si simple, glane désormais d’étonnantes et désespérantes petites polémiques. Cette année, c’est France Inter qui s’est fait remarquer avec cet article : “L’instinct maternel : une vaste supercherie, finalement assez récente.” L’argument avancé ? L’existence d’instinct selon lequel une femme voudrait forcément être mère et sache, sans avoir besoin d’y réfléchir et sans expérience, s’occuper de son enfant ne se révèle pas prouvée. “Pas prouvée.”
Un concept… politique ?
La méthode ? Amalgamer et caricaturer ce que serait cet instinct : une capacité innée et naturelle des mères à prendre soin de leur bébé, un concept selon lequel les femmes ont par nature envie de faire des enfants, un invariable lié à l’espèce qui agirait comme une sorte d’appel du ventre que toutes ressentiraient. Et l’idée qu’à partir du moment où l’enfant naît, l’amour serait tout de suite présent, et cela guiderait les mères dans leurs actes quotidiens. L’intention ? Démontrer que cet instinct maternel n’est qu’un concept forgé et instrumentalisé pour des raisons politiques, économiques et sociales. Pour pousser les femmes à rester plus à la maison. Et qu’au fond, le mythe de l’instinct maternel est le creuset des inégalités femmes-hommes. Voilà.
Ceux qui nous convient à vivre dans leur petit monde où tout se (dé)construit semblent n’être jamais à court d’idées. Une chose est sûre : il leur est impossible de concevoir qu’une société ait pu se forger autrement que sous le joug de conditionnements sociaux tyranniques, inventés de toutes pièces, et dont il faudrait se libérer. Dans cet univers sous cloche, la nature et la nature humaine sont priées de se taire (quand ça les arrange). On y efface le rôle qu’elles auraient pu jouer dans l’organisation humaine. L’instinct maternel ? Quelle horreur… et puis quoi encore !
La preuve scientifique obligatoire
Bien sûr que cet instinct ne peut se prouver scientifiquement. Bien sûr que certaines femmes ne le ressentent pas, ou pas tout de suite, ou pas tout le temps. Personnellement, je n’y pense pas tous les matins en me levant ! Évidemment que prendre soin d’un nouveau-né, cela s’apprend, ce n’est pas inné. Cela peut même être angoissant, éreintant, douloureux quand on a du mal à s’y sentir à sa place. Moi-même, épuisée après mon premier accouchement, je me sentais médiocre par rapport à mon mari qui semblait pétri d’instinct paternel.
Oui, l’amour n’est pas toujours instantané, il s’apprivoise. Et oui, bien sûr que certaines femmes ne ressentent pas le désir d’enfant. Aujourd’hui, demain, peut-être même jamais. Est-ce que pour autant cet instinct maternel n’existe pas ? “Récemment, je n’ai pu m’empêcher de rire, confiait Benoît XVI à Peter Seewald, on a dit à la télévision qu’il était désormais scientifiquement prouvé que la tendresse des mères était utile aux enfants” (Lumière du monde, Bayard, 2011, p. 179). Il a mentionné cette anecdote pour démontrer que le critère de scientificité est devenu le critère suprême, et que l’orientation fondamentale de l’homme à l’égard de la réalité a été transformée.
La conscience collective est marquée par ce positivisme — contaminant toutes les sphères humaines — qui réduit le champ de la connaissance légitime à ce qui est vérifiable.
En effet, notre culture actuelle entretient l’idée qu’une chose est vraie parce qu’elle est scientifique. Vous avez déjà tous remarqué que l’affirmation : “C’est scientifique !”, dans quelque échange que ce soit, produit toujours le même effet, coupe net toute discussion. On s’incline, on s’agenouille. Cette affirmation convainc, pour ne pas dire soumet. L’inverse marche aussi : ce n’est pas prouvé… alors n’y croyons pas !
En donnant à la science moderne l’autorité du savoir et de la vérité, il s’est répandu ce modèle de pensée — une sorte de “je crois ce que je vois” moderne — qui attend de la science qu’elle démontre même jusqu’à la plus évidente des évidences avant de commencer à lui accorder le moindre crédit. Ainsi, ce qu’on tiendra pour “non scientifique” — entendre par là “non vérifiable” — ne sera plus considéré comme relevant du domaine de la raison et ne comptera pour rien. La conscience collective est marquée par ce positivisme — contaminant toutes les sphères humaines — qui réduit le champ de la connaissance légitime à ce qui est vérifiable.
Rions de ces sottises
Mais invoquer la science devient dangereux lorsque, par elle, on croit tout savoir, voire même écrire le droit ou la loi. Nous avons besoin que toutes les disciplines sociales, humaines, philosophiques dialoguent pour progresser car “quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune, il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés”, écrivait Gaston Bachelard.
Rappelons que la principale caractéristique scientifique, c’est l’esprit critique. La science, au sens noble du terme, est discussion, interrogations, remise en question. “Le savant n’est pas l’homme qui donne les vraies réponses, il est celui qui pose les vraies questions”, disait Claude Lévi-Strauss. Un vrai scientifique aime la vitalité du savoir, son insatiable désir d’apprendre maintient en lui une ouverture permanente, une humilité créative. C’est lui-même qui parfois contredit, au regard de nouvelles découvertes, ce qu’il aura lui-même postulé. Et c’est tant mieux.
Nier l’instinct maternel ? Pourquoi faire ? Si ce n’est jeter une petite pierre de plus sur l’édifice de la maternité, à une époque où des femmes, devenues hommes à l’état civil, comme Logan Brown, prennent la pose avec gros ventre, cravate cheveux courts, barbe et poils aux pattes en Une de magazines qui y accolent sans sourciller ces titres mensongers : un homme enceint. L’instinct maternel ne se prouve ni ne se démontre ? Ok. Passons notre chemin et rions de ces sottises car en réalité, chaque jour, il s’éprouve et se montre.