Blaise Pascal est né à Clermont le 19 juin 1623, il y a quatre cents ans. Cet « effrayant génie » comme disait Chateaubriand, ce « plus grand des Français », comme l’appelait Julien Green, mathématicien le plus doué de tous les temps, monument de la physique qui fut aussi l’ami du Christ et des pauvres, nous parle encore. Nous, chrétiens, avons deux bonnes raisons de le célébrer.
Écrire le français
La première raison est que Blaise nous a appris à écrire le français. Il nous l’a appris parce que, ne se souciant pas d’être écrivain, il vivait dans l’urgence de dire ce qui lui importait. Il n’a pas écrit pour devenir quelqu’un mais pour savoir qui il était. Il a cherché Dieu plume à la main. Cela a donné les textes les plus vifs — j’allais écrire les plus modernes, mais le mot n’est pas bien choisi car le moderne se couvre vite de moisissure —, les plus concis, les plus clairs qui soient. Il a inventé la langue que nous écrivons. On songe évidemment aux Provinciales, à ce « Mes révérends pères, puisque vos impostures croissent tous les jours… » qui a donné le ton au Belluaires et Porchers de Léon Bloy, à La France contre les robots de Bernanos et à presque tous les Bloc-Notes de Mauriac ; mais aussi à ces phrases d’une fulgurante lumière : « Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi car on s’attendait à voir un auteur et on trouve un homme », par exemple. Pascal ne rédige pas : il écrit. Grâce à lui, les écrivains catholiques ont reçu une plume.
C’est pourquoi Pascal compte tant de disciples parmi les étudiants de 2023. Je pense à la Société des amis de Blaise Pascal, composée de jeunes normaliens qui se réunissent le soir, après le cours, à Saint-Étienne-du-Mont, afin de prier pour la béatification du maître, avant de finir la soirée par une maraude auprès des pauvres du quartier. Ils font penser à ces garçons à pèlerine qui marchaient avec Charles Péguy sous la pluie vers la cathédrale de Chartres, à tous ces disciples du Galiléen qui ont aimé le Christ contre l’esprit de leur temps, contre leur propre esprit d’abandon, et parfois sous l’œil soupçonneux de la hiérarchie ecclésiale soucieuse de ne pas déplaire au monde et de ne pas trop en faire. Mes révérends pères, ouvrez les yeux ! Ne faites pas la moue, réjouissez-vous !
Dieu, seul
La seconde raison est que Blaise Pascal, par ses Pensées, nous a fait gagner un temps considérable dans nos cogitations métaphysiques. Il a écrit : « Sans l’Écriture, qui n’a que Jésus pour objet, nous ne connaissons rien et ne voyons qu’obscurité dans la nature de Dieu et dans la propre nature. » Blaise Pascal règle ainsi définitivement leur compte à toutes les philosophies et à toutes les théologies passées, présentes et à venir. « Dieu seul peut parler bien de Dieu » insiste-t-il. La nature sans Dieu, dit le grand physicien, est parfaitement incompréhensible. Pascal ne traite pas le sujet de l’ordre naturel, qui nous obsède ; il ne traite pas davantage la question morale, qui nous empêtre : il les tranche dès le départ. Il les tranche d’un coup d’épée en les restituant, un siècle avant Emmanuel Kant, au domaine de la foi, en les arrachant au jus de crâne où nous ne cessons de les plonger.
Pascal nous rappelle qu’il n’est un bien que dans la mesure où il vient de Dieu incarné dans le Christ.
Il nous montre que, pour nous qui avons un jour croisé le regard du Christ, et l’avons aimé, et en avons été aimés, toutes les querelles qui nous divisent, qu’elles soient liturgiques, morales ou ontologiques, ont déjà été soldées par la parole de Dieu. Dans le buisson ardent, Dieu dit à Moïse : Je suis celui qui suis. Il règle la question de l’être. Pas besoin de Sartre ou d’Heidegger. Au jeune homme riche qui l’interroge, Jésus affirme : « Dieu seul est bon » (Mt 19, 17). Il règle la question des valeurs. Pas besoin de Kant ou de Spinoza. Tout le bien que notre société cherche avec tant d’efforts, tant de maladresses, tant de disputes, Pascal nous rappelle qu’il n’est un bien que dans la mesure où il vient de Dieu incarné dans le Christ. Nous perdons notre temps à le chercher hors du Ressuscité.
Un ange du ciel
Nous venons de le voir à Annecy : à l’instant de la plus abjecte barbarie, un ange du ciel est apparu au bord du lac. Cet ange qui portait un sac-à-dos n’a pas fait de morale, pas de discours : son seul regard a effrayé le mal. Ce fils de Charles Péguy, amoureux des cathédrales, était véritablement un disciple de Blaise Pascal. Il n’a pas asséné les valeurs de la République, il n’a pas fait la leçon, il ne s’est pas complu dans les niaiseries : il s’est interposé. Cet ange chevaleresque était proche du « plus grand des Français » parce que pour lui, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est aussi le Dieu de saint Louis, de Charles Péguy et de Blaise Pascal : le Dieu de Jésus Christ.
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