On parle beaucoup de l’égalité entre hommes et femmes comme d’une évidence qui n’est regrettablement pas encore manifeste pour tout le monde, mais devrait forcément s’imposer à terme. Le principal argument est que la différenciation entre les sexes qui engendre leur hiérarchisation est le produit d’un système social, lui-même déterminé à l’origine par les conditions de vie et perpétué par des traditions. Mais celles-ci sont remises en cause par le progrès de techniques qui facilitent l’existence quotidienne, si bien que les différences entre les individus deviennent négligeables et que les rôles n’ont plus à être assignés en fonction de particularités morphologiques, et en premier lieu celles liées au “genre”.
Quand la culture entend corriger “la nature”
Tout cela n’est pas totalement arbitraire. Dans la préhistoire, nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ne vivaient pas vieux et la survie du clan (avant même qu’il soit question d’espèce) était précaire. D’où une protection accordée à celles qui pouvaient porter, nourrir et élever des enfants, les mâles ayant une part seulement ponctuelle dans la procréation et s’employant à l’approvisionnement et la défense de la tribu, avec l’autorité conférée par ces responsabilités qui requièrent l’usage de la force, voire le recours routinier à la violence.
La civilisation a commencé par institutionnaliser cette dominance masculine. Mais lorsque la sécurité et même le confort se sont sensiblement améliorés, la dépendance des femmes ne se justifiait plus, et celles-ci se sont montrées parfaitement capables de faire un tas de choses jusque-là réservées aux hommes. Il a fallu du temps pour inverser les lois inégalitaires issues des sociétés primitives, c’est-à-dire pour que la culture prenne le pas sur “la nature”. De fait, la contestation de la sujétion des filles et des épouses apparaît dans des milieux privilégiés, où elles ne sont pas obligées de travailler, s’intéressent à la littérature et aux arts et font languir leurs soupirants, avec en plus du personnel pour s’occuper de leur progéniture.
Inégalités désormais injustifiées
C’est de même d’ailleurs que, contrairement à une certaine mythologie, les révolutions qui ont transféré en Occident la souveraineté du monarque au peuple ont été initiées non par des masses laborieuses, trop accablées par leur misère pour s’en indigner, mais dans des classes instruites et embourgeoisées, où les supériorités héréditaires se révélaient injustifiées. Les pionnières de l’égalité entre les sexes revendiquaient d’abord précisément l’éducation des demoiselles, afin de remédier culturellement à leur supposée infériorité naturelle.
Aujourd’hui, l’éducation se combine avec la prépondérance des compétences intellectuelles sur la puissance physique dans le monde du travail, la quasi nécessité (sauf chez les dirigeants) de deux salaires pour la consommation d’un couple, la démocratie et la maîtrise de la fécondité, pour rendre injustes ou du moins sans fondement les inégalités dues au sexe. La plupart des métiers sont donc désormais a priori accessibles à toutes comme à tous. L’enjeu n’est en effet plus la survie de la horde, qui requérait que les femmes soient protégées et donc dépendantes, si bien que cette discrimination s’avère la survivance par inertie d’un passé heureusement révolu. L’ennui est que la quête de satisfactions personnelles et immédiates prend en même temps le pas sur le souci du bien commun à long terme.
L’individualisme égalitariste
La première remarque à faire est que des menaces ressurgissent sur l’avenir de l’humanité : le surdéveloppement technico-industriel compromet les équilibres écologiques de la planète. Ce péril réveille une appétence à vivre mieux en harmonie avec “la nature”. Mais cette propension en un sens régressive est moins radicale qu’il ne semble, et en tout cas ne va pas jusqu’à une réhabilitation du modèle patriarcal : la dénonciation du consumérisme ne se démarque pas de l’individualisme égalitariste et l’identité sexuée tend à être considérée, quelles que soient les caractéristiques biologiques, comme un choix libre, toutes les options étant déclarées aussi respectables les unes que les autres, sans se limiter à un “binarisme”.
La question demeure de savoir jusqu’à quel point les différences sont à négliger et la moralité commune peut se recaler sur des cas particulier.
La question demeure néanmoins de savoir jusqu’à quel point les différences sont à négliger et la moralité commune peut se recaler sur des cas particuliers comme l’homo-, la bi-, la trans- ou l’a-sexualité. Indépendamment du danger de désastre environnemental, de pandémie ou de catastrophe nucléaire, et quels que soient les progrès accomplis depuis la préhistoire, la perpétuation de l’espèce humaine repose non sur l’élimination de toutes les frustrations (car il y aurait encore à affronter la mort, ou sinon une immortalité sans but), mais sur la conception, la naissance et l’éducation d’enfants.
Vers le « meilleur des mondes » ?
Tout cela peut au moins en théorie se faire “scientifiquement”, sans qu’il soit besoin de familles avec leurs risques et leurs imperfections. C’est alors le “meilleur des mondes” d’Aldous Huxley. Le romancier y a bien montré que l’«amour libre obligatoire”, les bébés-éprouvette et l’euthanasie programmée et acceptée anesthésient sans épargner les angoisses, parce qu’il y a toujours des accidents en laboratoire et surtout parce que le “matériau” humain n’est pas d’une essence purement chimique où des pilules évacuent les états d’âme.
L’homme et la femme ne sont pas simplement, comme dans cette dystopie, des individus égaux au point d’être interchangeables, sauf bien sûr pour s’accoupler (sans forcément s’engager !). En pareil cas, une majorité on ne peut plus massive préfère un partenaire de l’autre sexe, mais se voit nier le droit de présenter comme une référence normative sa pratique, qu’elle est désormais bien en peine de justifier sous le climat actuel.
« La nature » résiste et la foi répond
La culture ambiante tend à promouvoir l’indifférenciation, l’équivalence et même la flexibilité en matière de “genre”, en ringardisant toute objection. Néanmoins, “la nature” résiste. La parité s’établit dans beaucoup de domaines, mais pas tous. Il y a par exemple les compétitions sportives, où la médiatisation fait apparaître la ségrégation comme “normale”. Les athlètes féminines trouvent injuste de devoir concourir contre des filles nées garçons. Mais le plus décisif est bien plutôt qu’aucun homme ne pourra jamais être mère, ni aucune femme en féconder une autre. Reste à savoir si cette division n’est qu’une preuve que l’humanité n’est qu’une espèce animale, et s’il faut se résigner à ce conditionnement ou s’efforcer de le dépasser en le niant ou en le manipulant.
La Bible et l’Évangile offrent de surmonter cette alternative. Lorsque Dieu adjoint Ève à Adam pour qu’il ne soit pas seul (Gn 2, 18), on peut conjecturer que c’est pour permettre au type de créatures à son image d’avoir entre elles, un peu comme lui avec son Fils, une vie relationnelle animée par l’Esprit qui unit sans mélanger. Cette relation ne devient sexuée qu’après la Chute, mais aussi procréatrice (Gn 3, 7 et 16 ; 4, 1-2), afin que l’humanité ne meure pas, et elle demeure conformable au principe selon lequel le Christ vient comme chaste Époux (Ep 5, 29-32), afin de réaliser l’Alliance salvatrice promise par son Père, où maris et femmes ne seront ni “décorporisés” ni séparés (Mt 22, 30), mais délivrés des tentations de convoitise et de domination (cf. Gn 3, 16 à nouveau). Il y a là du grain à moudre…