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L’attentat de la place Saint-Pierre fut « l’une des dernières convulsions des totalitarismes du XXe siècle » : cette affirmation de Jean-Paul II en personne dans son dernier livre Mémoire et identité, paru quelques semaines avant son décès en 2005, ouvre de vastes perspectives d’interprétation quant à l’ampleur des réseaux mis en oeuvre pour tenter – sans succès – d’éliminer le premier pape provenant d’un pays gouverné par un régime communiste.
Plus de quatre décennies après la tentative d’assassinat du Pape commise le 13 mai 1981 par le terroriste turc Mehmet Ali Agça, de nombreuses zones d’ombre demeurent quant aux complicités, directes et indirectes, mises en œuvre pour éliminer le principal porte-voix des opposants au totalitarisme communiste. Si, dans les années 1980, la magistrature italienne s’est concentrée sur la responsabilité personnelle de Mehmet Ali Agça, la Pologne a voulu rouvrir le dossier après la mort du Pape. De 2006 à 2014, les procureurs de l’Institut pour la Mémoire Nationale, créé notamment pour analyser les exactions du régime au pouvoir en Pologne de la fin de la Seconde guerre mondiale à 1989, ont mené une vaste enquête afin d’identifier le rôle des services secrets communistes dans la tentative d’élimination du Pape. Ses résultats, dont certains détails n’avaient jamais été dévoilés avec autant de détails, ont été présentés ce mercredi à Rome, à l’occasion d’une conférence organisée à la Grégorienne autour du livre publié en italien sous le titre Agça non era solo (“Agça n’était pas seul”).
Plus troublantes encore sont les pistes qui mènent vers Moscou. Il va de soi qu’en 1978 l’élection d’un Pape venu d’un pays communiste avait suscité la stupeur au Kremlin.
Il en ressort que de nombreux agents de l’Est ont été impliqués dans la préparation de l’attentat, comme dans les années qui suivirent, afin d’établir des diversions. Une vaste campagne médiatique fut ainsi menée pour mettre en avant le lien entre Mehmet Ali Agça et les Loups gris, une organisation turque d’extrême-droite, de façon à brouiller les pistes. La Stasi est-allemande fut particulièrement active dans cette campagne de désinformation, notamment en faisant parvenir à la presse turque une lettre falsifiée d’un dirigeant nationaliste turc apportant son soutien à Ali Agça.
Mais on sait que le terroriste turc, qui s’était évadé de prison en novembre 1979 après avoir assassiné le directeur d’un journal, a été ensuite pris en charge lors de son séjour en Europe par les services secrets de la Bulgarie. Ce pays alors communiste abritait une puissante mafia active à la frontière avec la Turquie, une zone de contact entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie. Mehmet Ali Agça a aussi rencontré, à Téhéran, un agent du KGB qui fit ensuite défection à l’Ouest. Des indices tangibles qui corroborent la thèse d’un recrutement par les régimes communistes de ce tireur connu pour sa précision. Les ennemis du pontife polonais ont envisagé différents scénarios, dont certains fuitèrent dans les services occidentaux, qui tentèrent d’avertir le Pape. Les services secrets français, qui avaient eu l’information d’un projet d’attentat contre le pontife dès 1979, ne parvinrent pas à faire remonter l’information en haut lieu au Vatican.
Un ordre direct du Kremlin ?
Plus troublantes encore sont les pistes qui mènent vers Moscou. Il va de soi qu’en 1978 l’élection d’un Pape venu d’un pays communiste avait suscité la stupeur au Kremlin. Quelques mois plus tard, l’inamovible ministre soviétique des Affaires étrangères Andrei Gromyko – l’un des rares cadres du régime à avoir travaillé avec tous les dirigeants soviétiques durant quatre décennies de manière continue, de Staline à Gorbatchev – rentrera ébranlé de son premier entretien avec Jean-Paul II. Ce diplomate expérimenté, qui avait rencontré Paul VI à quatre reprises, n’était pas de nature à être impressionné par le Vatican et la figure du ‘pape de Rome’, une autorité relativement lointaine et anachronique pour des dirigeants soviétiques qui considéraient l’Eglise catholique comme une institution dépassée et négligeable.
Les dirigeants soviétiques avaient compris que Jean-Paul II faisait courir un péril mortel à leur idéologie communiste, et s’engagèrent donc dans une lutte à mort.
Mais les archives polonaises ont mis en lumière son inquiétude palpable quant au charisme de ce ‘jeune’ Pape élu à 58 ans. Se rendant directement à Varsovie après sa visite à Rome, Gromyko s’entretient avec le leader communiste polonais, Edward Gierek. Il lui décrit le nouveau Pape comme « un homme sain et agile, qui a pris continuellement soin de sa santé», et risque donc de vivre longtemps. Il le présente comme un homme « expert », qui risque de « provoquer de nombreux problèmes en Pologne ». Sa tonalité rejoint celle des fiches réalisées par les services de la République populaire de Pologne sur le cardinal Wojtyła avant son élection, remarquant « le haut niveau intellectuel » et le « bon sens tactique » de l’archevêque de Varsovie, dont les activités « sont dangereuses sur le plan idéologique ».
Face à un adversaire de cette mesure, l’affrontement ne s’est pas situé sur le plan d’un débat d’idées ou d’une simple joute intellectuelle. Les dirigeants soviétiques avaient compris que Jean-Paul II faisait courir un péril mortel à leur idéologie communiste, et s’engagèrent donc dans une lutte à mort. L’analyse de l’agenda personnel du dirigeant soviétique Leonid Brejnev laisse ainsi surgir quelques données troublantes : ainsi, entre avril et juin 1981, juste avant et après l’attentat de la place Saint-Pierre, il rencontre à une fréquence inhabituelle le chef du KGB Youri Andropov.
Par sa souffrance et par le pardon accordé à Mehmet Ali Agça, le Pape voulait avant tout rompre les chaînes de la haine et de la vengeance et montrer au monde la radicalité de la suite du Christ.
Le jour même de l’attentat, le 13 mai, Brejnev reçoit une délégation africaine avant de s’enfermer longuement dans son bureau, seul, comme s’il attendait une information importante et confidentielle, jusqu’à son départ vers sa résidence personnelle en fin d’après-midi. L’attentat est survenu à 17h17 heure de Rome, soit 18h17 à Moscou. Les jours suivants, Brejnev reçoit Gromyko et Andropov. Le contenu de leurs échanges demeure un secret d’État bien gardé, mais l’agenda du leader soviétique semble montrer une certaine fébrilité au Kremlin.
Le Pape du pardon
Après l’attentat, si les dirigeants communistes envoyèrent officiellement des vœux de rétablissement au pontife, les archives montrent que les cercles du pouvoir réagirent tout autrement en interne. « Je peux seulement rêver que Dieu le rappelle à lui le plus rapidement possible », lancera le tristement célèbre ministre polonais de l’Intérieur de l’époque, le général Czesław Kiszczak… une remarque d’une cruelle ironie provenant d’un cadre d’un régime prônant l’athéisme ! Mais le Pape lui-même, qui attribuera sa survie à la Vierge de Fatima, ne cherchera jamais à inculper qui que ce soit. Lors de son voyage de 2002 en Bulgarie, il laissera entendre qu’il n’a jamais cru à l’existence d’une « filière bulgare » concernant cet attentat.
Dans les années 1980, lors d’une conversation avec son ami et compatriote le cardinal Deskur, qui s’étonnait de son désintérêt pour les développements du procès d’Ali Agça, Jean-Paul II livrera une réponse cinglante : “Ils ne m’intéressent pas, car c’est le Malin qui a accompli cet acte. Le Malin peut agir par des milliers de façons. Aucune ne m’intéresse.” Par sa souffrance et par le pardon accordé à Mehmet Ali Agça, le Pape voulait avant tout rompre les chaînes de la haine et de la vengeance et montrer au monde la radicalité de la suite du Christ, dans le martyre, la confiance absolue en Dieu, et la non-violence.