Le sanctuaire de Pellevoisin se prépare déjà à fêter le 150ème anniversaire des apparitions de la Vierge Marie à Estelle Faguette, en 2026. Miraculeusement guérie d’une maladie incurable en 1876, cette jeune femme pauvre et peu instruite aurait reçu à quinze reprises la visite de la Vierge. Si sa guérison est officiellement reconnue par l’Église, ce n’est pas le cas des apparitions, ce qui freine pour le moment la béatification d’Estelle, demandée par les postulateurs de sa cause. Le frère Laurent Flichy, recteur du sanctuaire, revient pour Aleteia sur ces subtilités et sur l’importance de cette béatification pour le rayonnement du sanctuaire.
Aleteia : Quel enseignement la Vierge Marie a-t-elle laissé à Estelle Faguette ?
Frère Laurent : La Vierge Marie est apparue cinq fois en France au XIXe siècle, au cours de cinq régimes politiques différents : en 1830, rue du Bac; en 1846 à la Salette; en 1858 à Lourdes, en 1871 à Pontmain, et en 1876 à Pellevoisin. Elle est venue encourager les Français lors d’étapes difficiles, éprouvantes et déstabilisantes par rapport aux repères établis par quinze siècles de chrétienté. En 1876, lorsqu’elle apparaît à Estelle, le gouvernement à la tête du pays affirme avec netteté une position anticléricale et positiviste, bien qu’encore sous un régime encore concordataire. Marie donne une formation de vie intérieure à une chrétienne du peuple, simple, fervente, courageuse, travailleuse.
Marie parlait beaucoup de la France à Estelle, et demandait même de prier pour elle.
En quinze étapes, c’est-à-dire en quinze apparitions, elle donne des exercices spirituels accessibles à tout le monde, elle redonne accès à tout chrétien à son intériorité pour pouvoir traverser les épreuves de la vie : qu’il s’agisse de problèmes de santé, familiaux, économiques, politiques, ecclésiaux… Cet enseignement est encore très actuel ! La Vierge Marie a laissé à Estelle un message que tout chrétien français doit connaître et qu’il est urgent de se réapproprier. Elle donne une formation “du cœur”, qui se trouve dans la sagesse du Christ. La réponse à toutes les volontés de puissance est dans le cœur du Christ. Cet enseignement s’applique à nos problématiques d’aujourd’hui, au XXIe siècle, alors que l’homme semble vouloir tout contrôler.
Où en est la cause de béatification et de reconnaissance des apparitions à Pellevoisin ?
Le caractère surnaturel de la guérison d’Estelle, atteinte d’une maladie incurable, a été reconnu en 1983 par Mgr Vignancour, archevêque de Bourges. Dès lors, la guérison est aussi considérée comme miraculeuse par l’Église catholique. Cette reconnaissance conduit implicitement à se pencher de nouveau sur les apparitions de la Vierge à Estelle. La Conférence des évêques de France a autorisé, lors d’une assemblée plénière du 10 juin 2020, le lancement des démarches permettant l’ouverture du procès en béatification. Cependant, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi a fait valoir que l’existence d’apparitions requiert de reprendre au préalable l’enquête sur les apparitions. Une commission a été constituée en 2022 pour vérifier le message des apparitions et évaluer son rayonnement. Le procès de béatification ne pourra être vraiment ouvert que lorsque le Dicastère autorisera l’archevêque à reconnaître les apparitions au nom de l’Eglise. Ce que nous espérons pour le jubilé en 2026.
Il y a eu des moments d’apogée et de gloire dans lesquels Dieu a donné beaucoup de choses au peuple français. Aujourd’hui, nous devons chercher à vivre autre chose.
Cette béatification peut-elle amener à une meilleure connaissance du sanctuaire ? Est-ce un moyen de contribuer à cette vocation de la France en tant que “fille aînée de l’Eglise” ?
Oui. Marie parlait beaucoup de la France à Estelle, elle demandait même de prier pour elle. Mais il faut être attentif à ne pas susciter une nostalgie, ou la volonté d’un retour au passé. Je crois que les nations sont voulues par la providence divine et que les chrétiens d’un peuple, en tant que communauté, ont quelque chose à donner à leurs frères en humanité. Pour autant, il faut que nous acceptions aussi — me semble-t-il — de faire le deuil d’une ère de chrétienté, en tout cas celle que l’on a connue. La fin de cette ère ne signifie pas celle du christianisme. Il y a eu des moments d’apogée et de gloire dans lesquels Dieu a donné beaucoup de choses au peuple français. Aujourd’hui, nous devons chercher à vivre autre chose. Georges Bernanos est enterré, providentiellement non loin d’Estelle, parce que sa famille maternelle était de Pellevoisin. Tourmenté par ses années de guerre dans les tranchées, il évoque magnifiquement les profondeurs de l’âme humaine et nous aide à découvrir ce que pourrait être cette vocation de la France aujourd’hui. « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. », se désolait-il. C’est cette vocation intérieure que les chrétiens de France sont invités à développer personnellement et communautairement de telle sorte que leur relation à Dieu soit source de leurs engagements dans l’Eglise et dans la cité, bien plus que d’idéaliser un grand pays chrétien exemple des autres nations.