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Il y eut un grand silence. Un ami me rapportait l’histoire suivante : le 10 octobre dernier, une réunion pour préparer les cérémonies du 11 novembre dans une ville résidentielle de la région parisienne. Comme à leur habitude les représentants des principaux cultes se retrouvent afin de convenir d’un temps de prière qui réunisse des croyants autour de la mémoire des “tombés pour la France”. Surviennent les massacres du 7 octobre, l’un des participants, juif, appelle son ami chrétien : “Faut-il que je vienne ? Je ne sais plus…” L’autre l’y encourage avec chaleur et amitié. Le jour venu, tous se retrouvent à l’endroit prévu, cette année-là, accueillis par la communauté musulmane. Tous s’assoient dans la salle prévue. Aucun mot ne sort. Un silence, long, profond, comme si rien ne pouvait plus se dire. Seuls, la respiration des corps, le battement des cœurs, la tristesse des regards. La vie est bien là mais elle demeure muette. Des minutes s’écoulent sans que les sanglots ne cessent d’envahir les âmes. Il y a des moments où il n’y a rien à dire.
Retrouver la puissance du silence
Sans doute en sommes-nous là. Retrouver la puissance du silence : non pas de celui qui s’impose à la fatigue et la lassitude de la foule, traitée comme du bétail dans des transports en commun saturés et violents. Pas celui non plus qui enveloppe les esprits rivés aux écrans comme s’il pouvaient en surgir un trésor tant espéré. Mais le silence qui devient langage quand les mots manquent pour dire ce qu’on ressent, ce qu’on éprouve. Ce silence d’une création qui s’émerveille d’elle-même au fur et à mesure que son récit s’incarne, jour après jour. Silence d’un amour qui se promet hors des paroles futiles. Silence d’un dernier regard qu’aucun cri ne suffirait à traduire. Silence d’un partage qui dépasse même ce que l’on en comprend. Silence de la prière qui cherche à être communion et qui s’affranchit de tout vain bavardage.
Le silence est, dans les moments essentiels de nos histoires collectives et personnelles, le lieu d’où s’exprime la vie, murmure d’une brise légère dont nul ne sait d’où elle vient, ni où elle mène.
Les animaux, dans la vie sauvage, dit-on, sont peu bruyants. Ils ne font entendre leurs langages que pour se prévenir d’un danger ou pour appeler à la procréation. Nous sommes infiniment plus bavards. Nos paroles servent souvent à excuser ou dissimuler la faiblesse ou l’impuissance de nos volontés. Nous noyons alors les sujets qui nous inquiètent, nous fâchent ou nous heurtent, dans des flots de discours, slogans, littératures.
La lumière de l’intérieur
Ces personnes réunies pour préparer ensemble la commémoration d’un armistice qui fut si longtemps espéré, se retrouvèrent sans voix devant le retour de ce Mal qu’on imaginait tenu à distance. Personne ne cherchait à faire le malin. Chacun reconnut sa radicale impuissance. Tous savaient qu’ils étaient devant une impasse : un mot et c’était le risque qu’il fut de trop, ou de pas assez. En silence, la béance de l’impuissance se révèle : nous n’y arrivons pas, je ne peux pas. N’en sommes-nous pas là ? Ne serait-il pas temps qu’ensemble nous prenions le temps de faire silence en reconnaissant nos vraies impossibilités à vivre dans ce monde ce que nous sommes appelés à être ? Et plutôt que de nous expliquer les uns aux autres, avec de moins en moins de conviction, ce que nous devons penser et croire, pourquoi ne pas faire silence et nous laisser éclairer de l’intérieur par ce que nous fait éprouver celui qui donne sens à toute chose ?
Il est beau que durant la session du synode d’octobre dernier, tout ait commencé par un temps de retraite et de silence. Un silence qui a permis pour la première fois depuis longtemps dans l’histoire de notre Église, que toute question puisse être posée et que toute opinion puisse s’exprimer. Car le silence est, dans les moments essentiels de nos histoires collectives et personnelles, le lieu d’où s’exprime la vie, murmure d’une brise légère dont nul ne sait d’où elle vient, ni où elle mène.