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Pour échapper à la médiocrité des “fêtes de fin d’année”

fête, vin, festin, tableau

Jacob Jordaens, Public domain, via Wikimedia Commons

Le Roi boit, (1638-1640), peinture à l'huile sur toile par l'artiste flamand Jacob Jordaens, conservé au musée du Louvre.

Jean-François Thomas, sj - publié le 18/12/23

La fête contemporaine a perdu le sens du sacré qui marquait depuis l’Antiquité la joie d’accueillir ce qui est bon. Afin d’échapper à la médiocrité des "fêtes de fin d’année", recommande le père jésuite Jean-François Thomas, il est heureux de prendre l’habitude de répondre par un "Joyeux Noël" !

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Voici venir le temps des “fêtes de fin d’année”, même si chaque jour que l’homme fait désormais se doit d’être une fête. Certes, l’homme de foi, lorsqu’il se découvre pécheur pardonné, ne peut qu’exprimer sa reconnaissance par des chants et des danses envers son Dieu, mais il n’est pas certain que l’homme contemporain soit généralement mû par cette parfaite contrition débouchant sur la joie parfaite, celle proclamée par le roi David : “Vous avez converti mes lamentations en joie. Vous avez déchiré mon sac de pénitence, et vous m’avez environné d’allégresse” (Ps 30, 12). S’il est légitime de tuer le veau gras pour le retour du fils prodigue ou pour tel événement essentiel de notre existence, il est en revanche plus discutable de se perdre dans la fête perpétuelle qui détruit irrémédiablement son propre sens et sa propre raison d’être. 

Depuis l’Antiquité, un jour sacré

À l’origine, toute fête est sacrée. Il faut attendre le renversement révolutionnaire du XVIIIe siècle pour commencer à dériver. Chez Platon, dans son Ion, sacrifice rituel et fête sont synonymes. La liturgie catholique a d’ailleurs conservé cette empreinte puisqu’un jour férié, donc “ordinaire”, est encore une fête : la feria du temps de l’empereur Auguste est le jour de la mise à mort des bêtes choisies pour le sacrifice, et, pour l’Église, chaque célébration de la messe est un renouvellement non sanglant du sacrifice du Christ. L’oratorien Louis de Thomassin écrira au XVIIe siècle un Traité des festes, dans lequel il note une idée partagée alors par tous : “Le sacrifice est l’âme de la fête.” La fête est, depuis la plus haute Antiquité, un jour sacré, un jour divin, comme le rapporte Cicéron dans son De legibus. À l’époque contemporaine, le philosophe Roger Caillois, ceci sans lien avec le théologique, dira aussi que la fête est “la période de la prééminence du sacré” (L’Homme et le Sacré)

La fête contemporaine n’est le plus souvent que l’occasion de “s’éclater”, de “se faire plaisir”, de se perdre dans la fureur du bruit, des hurlements, de l’alcool, des drogues et des substances hallucinogènes diverses.

Mais le premier à se pencher vraiment sur l’essence de la fête, sur la déformation qu’elle a subie et sur les moyens appropriés pour la restaurer est le philosophe catholique allemand Josef Pieper, dans Dire oui au monde (1963). Une théorie de la fête (Zustimmung zur Welt. Eine Theorie des festes, dans l’original allemand). Le sacrifice, affirmation de Dieu, est aussi une affirmation du monde, et la fête devient donc un accueil de tout ce qui est, de tout ce qui est bon. Un homme aussi torturé que Nietzsche ne s’y trompa point lorsqu’il affirme que “pour éprouver de la joie à quelque chose, on doit approuver toutes choses” (Notes des années 1882-1888). Il s’agit donc d’un consentement à l’être, sous-jacent à toute joie festive même limitée. 

La fuite des fêtes où l’on “s’éclate”

Or qu’en est-il de cet assentiment transcendant dans la façon actuelle de “faire la fête” ? D’ailleurs c’est la fête, dans sa dimension religieuse, qui devrait nous “faire”, et non point l’inverse. La fête contemporaine n’est le plus souvent que l’occasion de “s’éclater”, de “se faire plaisir”, de se perdre dans la fureur du bruit, des hurlements, de l’alcool, des drogues et des substances hallucinogènes diverses. Ou bien, dans le meilleur des cas, de manger et de boire plus que de raison en compagnie de membres de la famille ou d’amis, tout en écrasant les enfants sous des monceaux de cadeaux vieillissant aussi rapidement qu’ils ne sont ouverts. 

Afin d’échapper à la médiocrité des “fêtes de fin d’année”, sans autre saveur que celle du foie gras, et sans autre odeur que celle du sapin, il est bon de prendre l’habitude de répondre par un “Joyeux Noël” à ceux qui n’ont plus conscience de ce qu’ils célèbrent en ces derniers jours de l’année.

Lorsque nous répondons Amen, nous nous situons dans l’attitude idéale pour accueillir la véritable fête car ce mot recouvre un oui sans limite, sans pour autant faire abstraction de ce que le monde comporte de mal. Josef Pieper, pourtant thomiste, retient cette juste constatation de Nietzsche : “Supposons que nous disions oui à un seul instant, alors nous aurions dit oui, non seulement à cet instant, mais à toute l’existence” (La Volonté de puissance). Le refus se dresse toujours contre l’existence. C’est le propre de la tristesse, du désespoir modernes par lesquels l’homme ne veut pas être ce qu’il est : aussi se perd-il dans le mouvement, l’activisme, le désordre, le déplacement constant, ne sachant demeurer là où il est. Fuite dans les voyages, les loisirs, les fêtes, le vacarme et les paradis artificiels. Pieper note : “La fête vit de l’affirmation. Même les messes de funérailles, ni “le jour des morts”, ni surtout le Vendredi saint ne sauraient revêtir le caractère de fête, sinon sur fond de cette certitude : le monde et l’existence sont toujours d’aplomb.”

Vraies fêtes et pseudo-fêtes

Voilà qui remet les choses en place car, depuis que l’homme s’est peu à peu éloigné de Dieu dans les sociétés occidentales, il s’est convaincu que la fête devait être une explosion intempestive d’émotions, de fausse gaieté. Dans le monde chrétien, chaque jour était un consentement à toute la création, donc déjà festif, mais des occasions particulières, extraordinaires, permettaient de célébrer dans la joie. Sous une forme latente, la fête est perpétuelle pour celui qui tourne son regard vers Dieu.

La plupart des fêtes contemporaines conduisent au néant car elles cultivent le nihilisme. Elles se présentent souvent comme des “contre-fêtes”, des provocations cherchant à mettre à bas ce qui avait été érigé pendant des siècles.

Afin d’échapper à la médiocrité des “fêtes de fin d’année”, sans autre saveur que celle du foie gras, et sans autre odeur que celle du sapin, il est bon de prendre l’habitude de répondre par un “Joyeux Noël” à ceux qui n’ont plus conscience de ce qu’ils célèbrent en ces derniers jours de l’année. Seule la célébration religieuse peut ranimer la flamme affaiblie de ces festivités. Roger Caillois va très loin en affirmant que le sens de la fête est tellement abîmé que “c’est la guerre qui correspond à la fête” dans le monde contemporain. Ce serait dire que la fête est devenue impossible, ce qui n’est pas vrai bien sûr, mais il est bon de se souvenir de cette remarque de Kierkegaard : “Celui qui rit n’a tout simplement pas encore reçu la terrible nouvelle” (Étapes sur le chemin de la vie). Cela s’applique parfaitement aux pseudo-fêtes dans lesquelles nous nous trémoussons en essayant d’oublier l’absurde de la vie que nous construisons, mais les fêtes authentiques sont encore présentes, à condition de ne pas se contenter d’être la satisfaction de besoins, de désirs, de ne pas se terminer dans l’ éclatement” généralisé qui laisse un goût amer et la gueule de bois pour des lendemains moroses. 

Préférer la louange

Pour ce faire, il faut résister à tout ce qui est banalisation, avilissement en préférant la louange. Josef Pieper relève bien que le sens vrai de la fête demeure souvent souterrain et caché de nos jours mais que cette invisibilité ne signifie pas que tout est mort, grâce à Dieu : “Le chrétien est à vrai dire convaincu qu’aucun acte de destruction, même le plus étendu, même perpétré avec l’enthousiasme de l’“anti-fête” la plus atroce, ne pourra jamais porter atteinte à la substance de la création. Mirabiliter condisti et mirabilius reformasti. “Créée admirablement et restaurée plus admirablement encore”, elle est inaccessible à la “volonté de néant”.”

La plupart des fêtes contemporaines conduisent au néant car elles cultivent le nihilisme. Elles se présentent souvent comme des “contre-fêtes”, des provocations cherchant à mettre à bas ce qui avait été érigé pendant des siècles. Elles sont du négationnisme, comme le fait de réduire Noël à une “fête de fin d’année” sans caractère religieux. Saint Athanase écrivait au IVe siècle : “Pour nous qui vivons ici, nos fêtes sont un passage sans entraves vers cette vie là-bas” (Lettres). L’absence de telles fêtes est mortelle. Il ne suffit pas de se perdre dans les excès et la fureur pour éprouver la joie profonde, la paisible exultation de la fête. En souhaitant un “Joyeux Noël”, nous entrouvrons la porte sur l’éternité.

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