Très Saint Père, cher pape François, je suis marié depuis dix-sept ans. Si dans quelques années, mon couple venait à se rompre, pire, si j’étais l’origine de cette rupture, du fait d’une infidélité par exemple ou du fait d’une impossibilité de cohabiter étant donné mon caractère, supposons encore que je retombe amoureux, j’espère que je n’aurais pas l’indécence de venir vous demander votre bénédiction. J’espère surtout que vous auriez alors le courage de me dire la vérité de mon engagement premier. Il m’en coûterait, probablement. Mais ce serait là cohérence avec le choix qui fût fait alors : “Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas.” Ce que l’homme veut rafistoler, que le prêtre ne le bénisse pas, que l’Église ne s’en arrange pas.
La malédiction du mari trompé
Cette première hypothèse serait assurément la pire quant à mon âme, mon péché, etc. mais il est un autre scénario plus difficile à vivre, socialement parlant : celle d’être soi-même victime d’une infidélité de son conjoint. En pareil cas, cher Père, si ma femme venait vous demander dans dix, vingt ou cinquante ans de bénir sa nouvelle union, je vous supplie de ne pas accéder à sa demande. Car alors la fameuse bénédiction des divorcés-remariés deviendrait la malédiction du mari trompé que je serais devenu. À l’épreuve terrible de devoir affronter le regard d’autrui, s’ajouterait le sentiment insupportable que Dieu ait pu, Lui-même, approuver cet adultère. Après l’abandon de son conjoint, rejoindre les damnés dès cette terre… Merci de ne pas participer à ce programme !
Vous pardonnerez cette double “cocu-fiction”. Mais au moment même où les mariages se cassent de partout, il n’est pas prudent de nous faire le couplet de la deuxième chance. L’engagement au mariage n’est pas moins grand, moins difficile, moins exigeant que celui du sacerdoce. Quand vous êtes devenu prêtre, vous saviez que ce serait pour toute votre vie. Les circonstances et nos libertés peuvent en décider autrement, pour vous comme pour moi, et nul n’en juge, mais nous savions pour quelle douce folie nous signions alors. C’en était la grandeur. Et c’est cela qui a fait de votre ordination comme de mon mariage un jour si important.
Le choix crucifiant de la fidélité
Un mot enfin : la souffrance des divorcés et celle des divorcés-remariés est grande. Nous en connaissons tous autour de nous. Mais elle ne peut être le seul critère de notre discernement. Car derrière ces personnes qui veulent trouver le bonheur à nouveau après un échec, n’oublions pas ceux qui tiennent secrètement le choix de la fidélité : leur souffrance n’est pas moins tragique. Trahis, blessés, abandonnés par leur conjoint, ils n’ont pas besoin de s’entendre dire que Dieu ratifie le deuxième choix de leur ex. Pour sortir de l’impasse de la victimisation “du-plus-grand-souffrant-qui-a-toujours-raison”, regardons la Victime. Je connais des hommes et des femmes divorcées mais qui font le choix crucifiant de la fidélité (une forme de célibat imposé), qui entendent, à chaque messe, ainsi ces paroles de la consécration : “Mon corps est livré pour toi. Pour toujours. Mon sang qui coule dans mes veines, coule encore pour toi. Le sang de l’alliance nouvelle ET éternelle.” Très Saint Père, cher pape François, vous pourrez désormais les prononcer en mémoire de Lui, et aussi en mémoire d’eux. C’est peut-être une bénédiction qu’ils ne demandent pas, et dont ils ont furieusement besoin.