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Les participants au concile Vatican II votaient le 4 décembre 1963 à la quasi-unanimité la constitution Sacrosanctum conciliumsur la sainte liturgie. En décrétant une réforme de la liturgie de l’Église, ce document a été à l’origine de profonds bouleversements dans la vie des catholiques. Or le soixantième anniversaire de cet événement est passé pratiquement inaperçu. On pourrait penser que cela démontre que la réforme liturgique est actuellement un fait largement accepté, totalement mis en œuvre, bien stabilisé. Pas si sûr ! Prenons l’exemple de la France. Fin mai dernier, 16.000 pèlerins sur les routes de Chartres vivaient, le temps d’un week-end de Pentecôte, exclusivement de la forme liturgique antérieure au concile.
38% des jeunes Français participants aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de Lisbonne cet été déclaraient apprécier la messe selon le missel de 1962. Environ 10% des prêtres ordonnés en France en juin 2023 l’ont été dans des instituts célébrants exclusivement (ou quasi) selon les rites pré-conciliaires… Alors, ce soixantième anniversaire de Sacrosanctum concilium est-il un non-évènement ou un tabou ? Osons reconnaître que la réception de la réforme conciliaire n’est pas complète. Peut-être parce que son application et sa mise en œuvre ne sont pas encore abouties ? C’est en tout cas la thèse que j’ai voulu présenter dans L’Esprit de la messe de Paul VI, publié cette année (Éd. Artège).
“À la limite du supportable”
Rappelons les lignes directrices de la réforme liturgique voulue par les pères conciliaires : la participation pleine et active de tous les fidèles, la dimension communautaire des célébrations, une certaine simplicité des rites, et une plus grande ouverture aux richesses des Saintes Écritures. Prenant appui sur mon expérience de curé, j’ai fait quelques propositions concrètes pour que la vie liturgique des paroisses de France continue de progresser, dans la fidélité aux intentions du concile. Ces neuf propositions vont de la formation des clercs et des laïcs (rejoignant en cela l’appel du pape François dans sa lettre apostolique Desiderio desideravi) à la communion aux deux espèces — Corps et Sang du Christ —, en passant par la place du chant grégorien, la proclamation de la Parole de Dieu, les ministères liturgiques et la célébration orientée vers le Père.
Depuis le concile, le magistère de l’Église a fait de constants rappels sur les orientations de la réforme liturgique, demandant une meilleure application et corrigeant les erreurs parfois graves, “à la limite du supportable”. Mais quelle a été la réception de ces documents ? Certes les écrits nous éclairent et nous encouragent, mais sans la valeur de l’exemple, ils risquent de rester lettre morte. Écrire ne suffit pas, il faut agir. À ce titre, l’exemple du pape Benoît XVI est éloquent : dès le début de son pontificat, il eut le courage de mettre en pratique ce qu’il préconisait lorsqu’il était encore cardinal Ratzinger, dans son livre L’Esprit de la liturgie ; il y fustigeait l’abandon quasi systématique de la célébration ad Orientem (vers l’Orient): “L’orientation commune pendant le canon demeure essentielle. Il ne s’agit pas d’un élément accidentel de la liturgie. L’important n’est pas de regarder le prêtre mais de tourner un regard commun vers le Seigneur.”
Les actes, donc. Mais toujours avec la souplesse que commande la charité pastorale.
En plaçant une grande croix au centre de l’autel de toutes ses célébrations, tant à Saint-Pierre que dans les autres messes papales, il a influencé concrètement beaucoup de paroisses. Mettre en place une liturgie dans la plus stricte observance du concile et des normes actuelles est aussi la meilleure réponse aux retours que j’ai souvent reçus de la part des traditionnalistes : “Les soi-disantes erreurs d’application de Vatican II sont inhérentes à Vatican II. La messe Paul VI telle que vous la décrivez n’existe pas dans les faits.” Alors faisons.
De la pédagogie et de la progressivité
Les actes, donc. Mais toujours avec la souplesse que commande la charité pastorale. Les mauvaises applications du concile ont souvent été imposées d’une manière violente, brutale, choquante : du jour au lendemain on a retourné des autels, interdit le grégorien et brisé des statues (je connais une paroisse qui m’est chère où le recteur de l’époque a demandé qu’on jette les statues à la mer pour les couler par 20 mètres de fond !). Non ! De la pédagogie et de la progressivité.
C’est ainsi que dans ma paroisse, nous avons mis en place depuis plus de deux ans la communion à la Sainte Table, où chacun vient communier lentement, de la manière qui lui est propre, non plus les uns derrière les autres mais les uns à côté des autres. Un nouveau paroissien arrivé récemment me disait : “C’est évident ! Lorsque je communie au Corps du Christ, je perçois maintenant que j’ai des frères et sœurs à mes côtés.” Il avait tout compris. De même depuis cet automne, la messe hebdomadaire est célébrée ad Orientem trois fois par semaine, puisque la chapelle s’y prête volontiers. Les autres jours, elle est célébrée vers le peuple. Cette façon équilibrée de procéder permet d’essayer et d’apprivoiser plus tranquillement l’orientation. Nous patienterons plusieurs mois avant de faire un premier bilan. Trop souvent nous abordons les problématiques par la raison seule et la théorie, or c’est aussi la pratique et l’expérience qui éclairent notre discernement. Il faut du temps pour infléchir nos sensibilités et saisir que le slogan maintes fois répété “La messe du concile, c’est la messe face au peuple” est tout simplement faux. Il faudra agir avec la même pédagogie en ce qui concerne le chant grégorien, dont le concile a demandé qu’il “occupe la première place”.
Dans le cadre paroissial
Il me semble que c’est ainsi, dans le cadre paroissial — l’Église de proximité — qui est le lieu liturgique habituel de la majorité des fidèles, en restant au plus proche et à l’écoute des paroissiens, que le véritable esprit de la messe de Paul VI peut être développé et le renouveau liturgique authentiquement diffusé. Cela prendra du temps, mais qu’est-ce que soixante ans au regard de 2000 ans d’histoire liturgique de l’Église ?
Pratique