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Le 23 mars 2018, dans le Super U de Trèbes, la vie de Julie bascule à tout jamais. Prise en otage par Radouane Lakdim, utilisée comme bouclier entre ce dernier et les forces de l’ordre, elle sort finalement libre grâce à l’intervention du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, qui se propose en échange. Dans son livre Sa vie pour la mienne paru le 10 janvier 2024 aux éditions Artège, Julie revient sur ce jour où elle a tant perdu, mais aussi sur ce qu’elle a gagné : la foi et l’espérance. “La foi ne m’a pas retiré la souffrance, mais elle m’a apporté l’Amour. Une réserve inépuisable d’Amour”, témoigne-t-elle auprès d’Aleteia. Entretien.
Aleteia : Le jour de l’attentat, votre vie bascule. Pouvez-vous revenir sur ce moment où Arnaud Beltrame est entré dans votre vie ?
Julie : La situation s’était gravement détériorée et le terroriste m’avait prise comme bouclier. Il pointait son arme sur mon crâne et son couteau était appuyé sur mes côtes. Nous étions en plein face à face avec l’équipe d’intervention du PSIG (Pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, ndlr) qui nous tenait en joue. L’échange et le dialogue qui s’ensuivirent avec le terroriste étaient très tendus. Je pensais que les coups de feu allaient partir à tout moment, et je me demandais par où les balles allaient me traverser et si j’allais survivre. À cet instant, j’ai entendu la voix d’Arnaud Beltrame. Il a crié : “Vos gueules, reculez, je prends”. Tout de suite, j’ai ressenti un immense soulagement que quelqu’un mette fin à cette scène. Le terroriste m’avait dit juste avant qu’il ne lui restait qu’à mourir en martyr face aux forces de l’ordre, je sentais que nous atteignions un point de non-retour. Ensuite nous l’avons vu, il s’est montré de l’autre côté des caisses et il a engagé le dialogue avec le terroriste, en avançant lentement. J’ai vu qu’il maîtrisait très bien l’art de la négociation. Il choisissait finement ses mots, la posture à adopter. C’est d’ailleurs le terroriste, il me semble, qui a suggéré qu’il vienne vers lui. Arnaud a saisi la balle au bond en formulant la demande d’échange. “La petite dame n’y est pour rien, laisse-moi prendre sa place”, lui a-t-il dit. Il a continué de dire ça plusieurs fois en avançant dans notre direction. Quand il y a eu un blanc, j’ai compris que je pouvais partir, et je suis partie. Il ne s’est jamais adressé directement à moi.
Dans les mains de quelqu’un qui se pose des questions, la médaille miraculeuse est une invitation à se tourner vers Marie, elle qui représente tant de douceur et d’amour, d’abnégation.
C’est cet événement dramatique qui vous a pourtant menée à la conversion, alors que vous étiez athée. Vous évoquez notamment une traînée de “petits cailloux blancs” qui vous a doucement conduite à la foi : qu’est-ce-que cela signifie ?
C’étaient de petits signes qui m’ont menée à Dieu progressivement, comme le petit poucet. J’ai grandi dans une famille non croyante, mes parents avaient été baptisés mais comme dans beaucoup de familles, mai 68 était passé par là. J’ai moi même fait des études scientifiques et je me contentais des explications rationnelles que j’avais reçues sur le monde pour avancer. J’étais devenue une athée farouche et je considérais les croyants avec un gentil dédain. Je les pensais dans l’erreur, pour être honnête.
Le tout premier petit caillou était la lecture, peu de temps après l’attentat, du livre de Boris Cyrulnik sur la résilience, dans lequel il posait le constat que les personnes ayant la foi se remettent mieux des épreuves de la vie. Je me suis dit que je devrais me pencher sur la question si cela pouvait m’aider à sortir du gouffre. C’était avant tout une question d’intérêt. Mais chaque petit caillou que je ramassais représentait en réalité une barrière qui tombait entre la foi et moi. En 2019, un peu plus d’un an après l’attentat, j’ai rencontré l’épouse d’Arnaud, Marielle. La foi de géant de cette femme, sa finesse, sa capacité à voir les choses d’en haut, à pardonner, à aimer… Elle m’a impressionnée. C’est elle qui m’a invitée à ne pas culpabiliser de la mort de son époux. Ensuite il y a eu des rencontres, des conférences, qui m’ont éclairée et m’ont fait me poser de plus en plus de questions, de vieux amis cartésiens qui se sont convertis… J’ai appris qu’Arnaud s’était ardemment tourné vers la foi à 30 ans passés. Si toutes ces personnes intelligentes, éprises de raison et de réflexion, se sont tournées vers la foi, il fallait aller voir. Et puis ces catholiques que je considérais comme niais sont pourtant toujours attaqués, ciblés… Pourquoi un tel acharnement ? Un “caillou” décisif a été ce moment magique avec l’institutrice de ma fille. Elle avait compris mes épreuves, mes souffrances. Elle m’a un jour offert deux médailles miraculeuses, une pour ma fille et une pour moi. Je ne savais pas exactement ce que c’était mais j’ai étouffé immédiatement un sanglot, prise d’une soudaine émotion. Dans les mains de quelqu’un qui se pose des questions, cette médaille est une invitation à se tourner vers Marie, elle qui représente tant de douceur et d’amour, d’abnégation.
Jusqu’au jour où vous retombez sur la lettre d’un chanoine de Lagrasse, qui se trouvait être le père spirituel d’Arnaud Beltrame, trois ans après l’attentat, parmi d’autres lettres de soutien qui vous étaient adressées. Qu’est-ce qui vous pousse à vous rendre à l’abbaye dans la foulée alors même que vous ne croyez pas en Dieu ?
J’ai retrouvé cette lettre, que j’avais rapidement parcourue mais avec laquelle j’avais gardé une forme de distance. Quand on est athée et qu’on approche un prêtre, on se méfie. On a peur de ne pas être à l’aise, de discuter de choses dont on n’a pas envie. Trois ans après, j’avais moins d’appréhensions. Je me suis rendue compte que c’était une lettre simple et humble. À ce moment-là, j’ai cruellement besoin d’aide, et je n’ai plus peur. Dès le lendemain, je prends ma fille en voiture, et j’y vais. J’avais accepté l’idée que la foi n’était ni absurde ni ridicule. À Lagrasse, ce fut une grande respiration. J’ai d’abord trouvé un beau regard sur Arnaud Beltrame. J’ai ensuite trouvé une paix unique et j’y ai fait des rencontres qui ont tout changé, celles de personnes bienveillantes, capables d’entendre ma douleur, ma colère, mes souffrances. J’ai tissé des liens avec une communauté forte. Quand on revient d’aussi loin, cette communauté de croyants qui accueille, ne juge pas, répond à des questions aussi naïves que profondes, donne des conseils sur la manière de prier… C’est un véritable trésor. Baigner au milieu de ces personnes qui m’ont guidée dans ma foi naissante a été déterminant pour moi.
Quand on trouve le moyen, la force de faire appel à Dieu, Il répond.
Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez prié ?
Oui, parfaitement. C’était au début de l’année 2022. J’étais dans une détresse absolue, après une brève période de soulagement, j’étais de nouveau très mal. Je me sentais encore si seule, à bout de forces à cause des séquelles de l’attentat, des difficultés avec l’administration, sans parler des déboires de ma séparation avec mon compagnon (je n’étais pas mariée), le père de ma fille. La justice a pris un temps fou pour trancher sur la garde de ma fille. C’est là que j’ai dit : “je n’en peux plus”. Après une messe, je suis retournée à l’église de l’abbaye et je me suis effondrée. J’ai appelé à l’aide de toutes mes forces. Dieu, mon père, Arnaud, la Vierge Marie… (Julie s’interrompt, la voix tremblante, reprend son souffle.) J’ai admis ma faiblesse, j’ai reconnu que même si je ramais fort, je n’y arrivais pas. Moi qui croyais tant au mérite personnel, à l’effort individuel, à l’efficacité du contrôle permanent… J’ai tout déposé entre les mains de Dieu.
Cette prière-là a tout changé. Dans les mois qui ont suivi, tout un tas de problèmes se sont aplanis, j’ai de nouveau fait de belles rencontres, j’ai en particulier rencontré mon futur mari. Il avait une culture catholique très ancrée et il a été un guide très précieux, nous prions beaucoup ensemble. Il est apparu comme une réponse à ma prière. Quand on trouve le moyen, la force de faire appel à Dieu, Il répond.
La foi ne m’a pas retiré la souffrance, mais elle m’a apporté l’Amour. Une réserve inépuisable d’Amour. Au quotidien, c’est un petit miracle : je sais que je ne peux pas sombrer.
Au bout de combien de temps décidez-vous de demander le baptême ?
J’ai entamé le début de mon catéchuménat à l’été 2022. Normalement, il faut deux ans avant de recevoir le baptême. Je n’ai fait qu’un an de catéchuménat et j’ai reçu le baptême à Pâques 2023. J’ai été si heureuse de pouvoir le recevoir avant. J’avais tellement soif. Soif d’entrer dans cette famille pleine d’amour, de dire haut et fort que je crois, que je ne fais pas semblant. Je pouvais enfin pleinement grandir et recevoir, communier, recevoir toutes les grâces dont j’avais besoin. Pendant le catéchuménat, je me suis dit que je n’étais pas allée voir Arnaud sur sa tombe. À la suite du baptême, je me suis sentie enfin digne d’y aller. C’était devenu un grand besoin. (Elle pleure). J’en suis repartie avec une grande force.
Qu’est ce que votre conversion a changé dans votre vie ? Est-ce qu’elle a signé le début d’une “nouvelle vie” pour vous ?
La foi ne m’a pas retiré la souffrance, mais elle m’a apporté l’Amour. Une réserve inépuisable d’Amour. Au quotidien, c’est un petit miracle : je sais que je ne peux pas sombrer. Mon cerveau m’envoie des messages de catastrophe tout le temps. Sans mon mari et ma fille, j’ai toujours peur qu’il leur arrive quelque chose… Je vis dans un état d’anxiété permanent, avec une imagination constamment en surchauffe. Pouvoir prier, donner et recevoir tout cet amour, demander à Dieu ce dont j’ai besoin me permet de faire face, de trouver du répit.
Pensez-vous que cette terrible épreuve vous a permis, en croisant le chemin d’Arnaud, de vous conduire à Dieu ? Cet attentat ne vous a t-il pas sauvée, finalement ?
On peut dire que si. Après l’attentat, je me suis dit : soit j’en crève, soit j’en sors grandie. Je ne sais pas encore si j’ai développé une grande force, mais je crois ne pas être la seule à m’être tournée vers la foi au moment où j’étais à terre, vaincue. Il fallait certainement ça pour que je trouve Dieu. Cette rencontre avec Arnaud, croiser cette puissance d’âme : il y a du sens à y trouver. Je n’ose prétendre à une prédestination… mais quelque part, elle existe un peu quand même. Aujourd’hui je suis soulagée d’avoir pu faire parvenir mon témoignage, de parler d’Arnaud. Je suis reconnaissante de lui rendre cet hommage.
Si vous deviez parler de Dieu à la Julie d’avant : que lui diriez-vous ?
Elle éclate de rire. Elle était tellement dure, la Julie d’avant ! Il n’y aurait pas grand-chose à lui dire car encore faudrait-il qu’elle écoute… Je lui dirai : accroche-toi, ça va aller, Il va t’aider.
L’itinéraire spirituel d’Arnaud, et notamment son appartenance à la franc-maçonnerie, ont été beaucoup commentés et controversés. Qu’avez-vous pensé de tout cela ?
Arnaud était quelqu’un d’entier, il cherchait la vérité et était en quête d’absolu. D’après ce que j’ai compris, son appartenance à la franc-maçonnerie se limitait à retrouver d’anciens camarades qui appartenaient à une loge. Je crois aussi savoir qu’il est tout à fait possible qu’il ne savait pas que l’appartenance à la franc-maçonnerie était proscrite par l’Église. Pour moi, tout cela ne change absolument rien à ce qu’il a fait. Son histoire est complexe, comme celle de chacun. On peut calomnier quelqu’un sur un aspect de sa vie, c’est facile, mais cela ne change rien au fond : il a pris ma place avec un grand courage et un grand professionnalisme. Il a été pragmatique : c’était la seule chose à faire à cet instant-là pour me sauver la vie.
Avez-vous réussi à pardonner Radouane Lakdim ?
C’est trop tôt pour le pardon, je n’y suis pas encore parvenue. J’ai un modèle absolument magnifique à suivre, qui est celui de Marielle. Elle dit qu’Arnaud a certainement sauvé l’âme du terroriste et que peut-être que le jour où elle montera au ciel, il sera à côté d’Arnaud. Il m’est arrivé de demander la force de pardonner dans ma prière.
Quel est le passage de la Bible qui vous inspire le plus ?
Le chapitre 6 de la lettre de saint Paul aux Ephésiens.
“Au reste, fortifiez-vous dans le Seigneur et par sa force souveraine. (…) C’est pourquoi prenez toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir résister dans le mauvais jour et tenir ferme après avoir tout surmonté. Tenez donc ferme : ayez à vos reins la vérité pour ceinture; revêtez la cuirasse de la justice; mettez pour chaussures à vos pieds les bonnes dispositions que donne l’Évangile de paix; prenez, en toutes circonstances, le bouclier de la foi, avec lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Malin; prenez aussi le casque du salut et l’épée de l’Esprit, qui est la Parole de Dieu. Priez en tout temps par l’Esprit, avec toutes sortes de prières et de supplications. Veillez-y avec une entière persévérance.”
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