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Après l’inceste : Saskia, un long chemin de résilience

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Saskia Lecocq

Morgane Afif - publié le 22/01/24

De ses 7 à 12 ans, Saskia Lecocq a subi l'inceste par son père, aujourd'hui décédé. Pour Aleteia, elle décrit ces années douloureuses dans un témoignage édifiant d'où ont jailli, triomphants, l'espérance et le pardon.

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Saskia a 30 ans. Cette jeune femme au regard clair a vécu le drame de l’enfance brisée par l’inceste. Cette maman de plusieurs enfants, “deux sur terre et deux au ciel” a quitté la région parisienne pour s’installer avec son mari, Louis, “un homme merveilleux”, dans le Var, où elle est photographe. Au téléphone, elle se présente : “Je suis catholique. Pas depuis toujours, mais depuis suffisamment longtemps pour ne pas me laisser ébranler dans ma foi”. 

L’inceste, tous les soirs, dans le secret

Petite, Saskia grandit en région parisienne, avec son frère aîné, son père et une mère souvent absente qui travaille jour et nuit pour éponger les dettes de son mari. Son père, déjà physiquement violent, alcoolique et pervers narcissique avéré, est suivi depuis toujours à l’hôpital Sainte-Anne pour une bipolarité reconnue. Lorsqu’elle se marie avec lui, la mère de Saskia ignore tout cela.

Saskia a 7 ans lorsque sa famille déménage dans une maison plus grande : la petite fille, qui partageait jusqu’alors la chambre de son frère, croit rêver. Très vite, pourtant, le rêve se mue en cauchemar lorsque l’inceste débute. “Tous les soirs, de mes 7 à mes 12 ans, la violence physique, ponctuelle, s’est transformée en violence sexuelle, quotidienne. Au début, je ne comprenais pas ce qu’il se passait, mon père me disait que c’était comme ça que les papas aimaient leurs petites filles et que j’avais de la chance”. Malgré les explications de son père, elle sent bien que quelque chose ne va pas. Un soir, elle le supplie : “Papa, tu m’aimes trop fort, ça fait mal comme tu m’aimes”. Puis, très vite, les menaces arrivent, quand Saskia commence à poser des questions. Elle voit bien, alors, que chez les autres ça ne se passe pas comme à la maison. Pourtant, les papas de ses copines semblent eux aussi aimer leur fille. “Il me disait que c’était de ma faute, que je l’avais chauffé si j’avais mis une robe. Mais à 8 ans, une petite fille ne chauffe personne, et surtout pas son papa”. Très vite, le silence force Saskia à porter sur ses épaules d’enfant l’unité familiale, lorsque son père l’accuse : si elle parle, alors la famille se détruira et elle en sera la seule responsable.

Mon père me disait que c’était comme ça que les papas aimaient leurs petites filles, et je me souviens lui avoir dit, un soir : « Papa, tu m’aimes trop fort, ça fait mal comme tu m’aimes ».

Le dimanche, Saskia va à la messe avec sa mère et son grand-frère, qui, à 5 ans, a demandé le baptême. Trop jeune pour être baptisé avec les catéchumènes, trop grand pour recevoir le sacrement avec les enfants, le prêtre de la paroisse lui demande d’attendre ses 9 ans et d’aller à la messe tous les dimanches pour préparer son âme. Saskia l’accompagne, tandis que leur père, qui touche à l’occultisme, refuse de venir avec eux. Depuis toute petite, elle sait que Dieu existe, ce Dieu “tout-puissant, qui l’aime”, comme lui a toujours répété sa maman. “Je n’ai jamais douté de son existence, mais pour moi, il était en haut, très loin et moi j’étais en bas”, explique-t-elle. Pour suivre son frère, elle rejoint les scouts d’Europe, qu’elle ne quitte que vingt ans plus tard : un “garde-fou” dans l’abîme de sa détresse. À 9 ans, avec son âme d’enfant, elle demande le baptême, moins par conviction que pour imiter son aîné qui a reçu des cadeaux pour le sien.

“Quand la maltraitance sexuelle a commencé, j’ai supplié Dieu de me protéger. Je lui criais : ‘Viens et sauve-moi, maintenant’. Mais il ne se passait rien et ça recommençait tous les soirs. Le soir de mon baptême, ayant en tête que j’avais été renouvelée par le sacrement, j’ai dit non à mon père en lui expliquant qu’il n’avait pas le droit de me salir, mais ça n’a rien changé”. De colère, Saskia arrache sa croix et hurle à Dieu qu’il n’existe pas. Ce soir-là, elle pleure toutes les larmes de son corps et s’endort d’épuisement à même le sol. Pendant cinq ans, la petite fille subit tous les soirs les attouchements de son père, jusqu’au jour où elle simule ses premières règles en se coupant avec un morceau de verre. “C’était mon dernier espoir pour mettre un terme à tout cela : un an plus tôt, j’avais appelé le 119, le numéro d’urgence pour les enfants maltraités, mais ils ont cru à un canular”. Humiliée, la jeune fille se dit alors qu’aucun adulte ne l’aidera jamais.

Du désespoir à l’espérance

Quand, à ses 16 ans, ses parents se séparent, Saskia est dévastée. Elle, qui s’était tue sous les menaces de son père pour préserver l’unité familiale, est anéantie. La jeune fille traverse alors une adolescence difficile. Abîmée dans sa féminité, elle s’efforce de ressembler le moins possible à une fille. Elle ne prend pas soin d’elle et subit le harcèlement cruel de ses camarades de classe. Son besoin irrépressible – vital – d’être aimée, la conduit, jeune femme, à se perdre dans les bras des hommes qu’elle rencontre la nuit dans les bars. Avec eux, elle oublie un instant la douleur qui la déchire, pour la retrouver quand le jour se lève. “J’ai cherché l’amour toute ma vie, je l’ai cherché, mais mal. Je me suis donnée à corps perdu à des hommes bien plus âgés que moi, et je suis allée jusqu’à me faire payer pour ça”. Elle hait son corps de femme, parce qu’elle est femme. Depuis le premier soir, une idée ne la quitte pas : si elle était née homme, rien de tout cela ne lui serait arrivé.

Passionnée par le théâtre et la scène, comme pour se cacher dans les rôles qu’elle interprète pour se fuir, Saskia intègre une prestigieuse école d’arts dramatiques. Étudiante, la jeune femme se perd dans l’alcool, beaucoup, et dans la drogue, un peu, pour oublier. “Je sortais du dimanche au dimanche, jusqu’à me faire virer de mon établissement”. Elle touche le fond : sans le théâtre, elle n’est plus rien et sa vie n’a plus de sens. “J’avais 22 ans et je voulais mourir”. Saskia prend la décision de mettre fin à ses jours. Alors qu’elle a déjà tenté plusieurs fois de s’ôter la vie, une pensée l’arrête. Elle ne peut pas tuer quelqu’un qu’elle ne connaît pas : “Je n’avais aucune idée de qui j’étais vraiment”. Pour se trouver, puis en finir, elle part en Irlande avec cette certitude qu’elle tient de ses années aux Scouts d’Europe, que, dans la nature, on ne peut pas tricher. “Au bout de quelques jours, se souvient-t-elle, j’ai hurlé vers Dieu, je l’ai accusé, puis j’ai ressenti une paix immense. Pour la première fois de ma vie, je me suis sentie toute petite, mais pas écrasée et je suis rentrée avec la certitude que la vie valait la peine d’être vécue”.

Ma vie n’avait plus de sens. J’avais 22 ans et je voulais mourir, mais j’avais le sentiment que je ne pouvais pas tuer quelqu’un que je ne connaissais pas et je n’avais aucune idée de qui j’étais vraiment.

« Le pardon est possible, mais c’est une grâce »

Saskia se sait sauvée, mais il lui faut plusieurs mois pour parvenir à se redresser et à changer de vie. C’est à Paray-le-Monial, entraînée un peu par hasard par une amie, qu’elle fait l’expérience sensible et bouleversante de l’amour de Dieu. Restaurée, elle trouve une unité de vie qu’elle n’avait jamais connue et, peu à peu, revient à Dieu en rejetant ses démons. Au sein de la chorale où elle chante, elle rencontre Louis, qui devient son meilleur ami. Pour la première fois, elle se livre sans rien cacher de ses misères. Louis connaît tout d’elle. Peu à peu, l’amitié se transforme : Saskia est amoureuse. Impossible, pour elle, que Louis partage ses sentiments et puisse l’aimer jusque dans son passé et la vie qu’elle a menée. Quand le jeune homme se déclare, elle fond en larmes. Les amoureux se fiancent.

Devenue épouse et mère, Saskia n’hésite plus à témoigner de l’enfer qu’elle a traversé. “Je serai prête à revivre tout ce que j’ai vécu, parce que je suis heureuse d’être la femme que je suis devenue, même si on ne guérit jamais vraiment. Je suis évidemment profondément marquée par tout ce que j’ai traversé et c’est handicapant dans mon quotidien, mais j’ai travaillé sur moi pour réussir à en parler de manière apaisée aujourd’hui, pour en aider d’autres”. Avec une certitude foudroyante, Saskia soupire : “Je ne me suis pas relevée toute seule, c’est le bon Dieu qui m’a sauvée. Il m’a tirée des eaux”. 

Quant au pardon ? “C’est possible, mais c’est une grâce”, estime Saskia. “J’ai fini par reconnaître que mon père avait plus de valeur que les actes qu’il a posés et qu’il était aimé de Dieu. Jusqu’à sa mort, et même encore maintenant, je n’ai jamais cessé de prier pour lui. Ma grande espérance est de découvrir vraiment qui est mon père au ciel. J’ai la certitude qu’on s’y reconnaîtra, en vérité : on a célébré tellement de messes pour lui que je n’imagine pas ne pas le retrouver un jour. Sur terre on peut tricher, mais j’ai hâte de le prendre dans mes bras et de le découvrir dans sa dignité d’enfant de Dieu, enfin restauré de son péché”. 

Tags:
Abus sexuelsEnfantsFamilleviolence
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