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La liste à jour des péchés sans rémission comporte, du moins dans le cas de nouveaux ministres et à entendre les cris d’orfraie de zélateurs effarouchés de la pruderie en vogue : premièrement, mettre ses enfants dans l’enseignement privé et deuxièmement, s’être opposé il y a plus de dix ans au “mariage pour tous” (ce qui est aussi indécent aujourd’hui qu’un manque d’enthousiasme pour l’inscription de l’IVG dans la Constitution ou pour l’euthanasie à défaut du suicide assisté). Il est permis de ne pas partager ces indignations pudibondes et même d’en sourire.
Qu’est-ce que la société et qu’attend-elle ?
Il n’y a pas à défendre les membres du gouvernement ainsi mis au pilori : ils n’ont enfreint aucune loi, et d’ailleurs eux-mêmes désavouent peu ou prou leurs options antérieures. La ministre de l’Éducation nationale a présenté des excuses pour avoir retiré sans raison valable — s’avère-t-il maintenant — un de ses enfants d’une école publique. Et la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités a rappelé qu’elle avait, sans attendre d’être promue à cette haute responsabilité, fait son mea culpa médiatique pour n’avoir pas saisi en 2013 que le mariage entre personnes de même sexe était une “attente de la société”.
Cette dernière expression peut laisser rêveur. La même ministre a aussi parlé, à propos de l’«aide active à mourir”, d’«accompagner les évolutions de la société”. Mais qu’est-ce que “la société” et qui peut parler en son nom ? Et puis a-t-elle une ou des “attentes” unanimes ou au moins majoritaires ? Pour le vérifier démocratiquement, peut-être faudrait-il consulter par référendum (pourvu que les questions soient adéquatement formulées). En 2012-2013, le gouvernement ne s’y est pas risqué, et l’élite au pouvoir a choisi d’ignorer la résistance populaire qui s’exprimait dans des actions de masse en dehors des cadres institutionnels.
Quand la rue faisait la loi
C’est une des nouveautés du XXIe siècle. Jusqu’à récemment, de grandes manifestations avaient eu le dernier mot. Ainsi, Mai 68 s’achève le 30, quand un million de gaullistes défilent sur les Champs Élysées, terrassant la contestation sur son propre terrain. Le contrôle totalitaire de l’enseignement est rendu irréalisable par la grande marche dans Paris des partisans de l’école libre le 24 juin 1984. Des “mouvements sociaux” en 1995-1996 font reculer des réformes des retraites et de la Sécurité sociale… Le dernier succès de la rue date de 2006, lorsque le pouvoir en place préfère retirer le “contrat première embauche”, soupçonné d’aggraver la précarité de l’emploi des jeunes.
Mais les protestations de 2003, 2010, 2019-2020 et 2023 (avec, l’an dernier donc, pas moins de dix journées nationales de mobilisation dont on ne parle déjà plus) n’ont pas empêché les réformes successives des retraites. Parmi les autres rassemblements de masse récents, certains n’avaient pas de revendication précise (2009 : dénonciation des conséquences de la crise financière ; 2015 : après les attentats de terroristes islamistes ; 2017 : pour les funérailles de Johnny Hallyday), et les manifestations plus rebelles, comme celle des “Bonnets rouges” en 2013-2014 (essentiellement en Bretagne, il est vrai) ou des “Gilets jaunes” en 2018-2019, n’ont pas obtenu gain de cause.
L’intelligentsia imperméable au sentiment populaire
La Manif pour tous s’inscrit dans la déjà longue série des mouvements populaires qui n’ont pas ébranlé les certitudes de l’intelligentsia dominante. Certes, le peuple n’a pas infailliblement raison ; il est sensible à la démagogie et les majorités sont changeantes. Certes aussi, les résistances de “la base” sont souvent instinctives et ne reposent pas sur un programme. Elles réunissent plutôt, dans un refus parfois à courte vue, des gens fort divers. Certes encore, des extrémismes ne manquent pas d’essayer de tirer parti de la dynamique d’opposition qui se développe. Les grèves de 2006 ont ainsi fait réémerger un certain gauchisme, et il y a eu ensuite les violences des Black Blocs. De son côté, la Manif pour tous s’est divisée et dans certains cas durcie après n’avoir pas réussi à empêcher la loi instaurant le mariage homosexuel.
Une des caractéristiques des totalitarismes est la distorsion du vocabulaire, de façon à rendre impossible la formulation d’idées non conformes.
La position des frondeurs de 2013 s’avère cependant durable et solide. On peut dire qu’elle se retrouve dans la déclaration Fiduciasupplicans du Dicastère pour la doctrine de la foi qui a tant excité dernièrement : le mariage est l’engagement réciproque d’un homme et d’une femme, pour la vie et jusque dans la transmission qui lui est inhérente travers la procréation et l’éducation d’enfants. Mais cela n’implique aucunement d’ignorer celles et ceux qui, quelle qu’en soit la raison, se comportent autrement, sans les juger (en ce qui concerne les croyants, et autrement par simple réalisme) à la place de Dieu, toujours prêt à accueillir ceux qui se tournent sincèrement vers lui.
À l’école de Big Brother
Dans ces conditions, objectera-t-on, pourquoi ne pas accepter que tout couple, quel que soit le “genre” des partenaires, soit reconnu, appelé et légalement qualifié de “marié” s’il le désire ? Eh bien, parce que, si les identités sexuées deviennent indifférentes, ce que signifie “mariage” s’en trouve altéré. À la limite, dans le cas d’une union homosexuelle, les particularités de l’un ou l’une et de l’autre sont escamotées, voire niées. Or toute société humaine à un besoin vital d’un langage où les mots désignent les mêmes réalités pour tous.
Une des caractéristiques des totalitarismes est la distorsion du vocabulaire, de façon à rendre impossible la formulation d’idées non conformes, et en faisant même en sorte que soit inversé le sens des termes les plus dangereux pour l’idéologie au pouvoir. George Orwell l’a très bien expliqué dans 1984 : le Parti y impose la “novlangue“, qui permet d’exprimer uniquement ce qui ne contrevient pas à l’orthodoxie officielle ; et les ministères de la Guerre, de la Propagande et de l’impitoyable Police de la pensée sont respectivement nommés les services de la Paix, de la Vérité et de l’Amour.
Le réalisme critique inspiré par la foi
Bien entendu, nos actuels gouvernants et oracles de la bien-pensance n’arrivent pas à la cheville du Big Brother de la dystopie orwellienne. Il n’empêche que le “politiquement correct” et le woke s’emploient à désarmer et subjuguer les esprits en subvertissant, voire en inversant le sens des mots, en érigeant des normes censées universelles sur la base de cas nécessairement peu communs. C’est ainsi que toute espèce d’activité sexuelle doit être reconnue possible, à la seule condition du consentement et en feignant de croire que nul n’est conditionné par cette présentation où tout est équivalent. C’est ainsi aussi que donner la mort à un malade déclaré incurable sera considéré comme un soin.
Résister au matraquage médiatique qui insinue que la cathophobie est justifiée par l’homophobie de l’Église, incarnée par la Manif pour tous, requiert d’abord non pas du courage, mais un peu de mémoire ou d’honnêteté intellectuelle. À la Manif pour tous, certains des plus vigoureux (dont Frigide Barjot) plaidaient pour que les couples de même sexe aient accès, si le PaCS ne suffisait pas, à une “union civile” distincte du mariage. Dans l’ordre du spirituel et non du droit profane, Fiduciasupplicans rejoint ce réalisme, sans légitimer ce qu’elle sait être des confusions instaurées au sein de la création et sans se polariser sur l’homosexualité, qui ne concerne qu’une infime minorité des “couples irréguliers”. Dieu merci, la foi aiguise une liberté critique des conformismes d’aujourd’hui aussi bien que d’hier et d’avant-hier.