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Lire pour ne pas oublier, pour concevoir et imaginer l’inconcevable et l’inimaginable. L’horreur des camps de concentration et d’extermination, d’Auschwitz-Birkenau, de Buchenwald ou encore Dachau ont fait l’objet de nombreux livres, articles, films et reportages. Avec, à chaque fois, la même horreur qui saisit, la même révolte qui monte et l’incompréhension face à l’effroyable mécanisme qu’a été celui de ces camps pensés par des hommes et à destination d’autres hommes. Une pédiatre à Auschwitz (Anne Carrière), ouvrage publié pour la première fois en France ce 26 janvier, s’inscrit dans cette longue lignée de livres témoignages essentiels pour entrer dans l’Histoire, aussi sombre soit-elle.
Lucie Adelsberger, pédiatre juive allemande exerçant à Berlin y raconte son histoire. Née en 1895 dans une famille juive de Nuremberg, elle commence sa carrière de médecin en 1919. Elle s’installe à Berlin, devient une brillante allergologue et pédiatre, et intègre le prestigieux Institut Robert Koch avant d’en être chassée par les lois nazies. Elle raconte le climat angoissant dans le Berlin 1942-1943, comment les vexations quotidiennes contre les juifs se sont progressivement transformées en lois et défiance reléguant la communauté juive au banc de la société. Refusant un poste aux États-Unis pour rester auprès de sa mère grabataire, elle est déportée en 1943 à Auschwitz, où elle est affectée aux ordres du sinistre Josef Mengele, le médecin du camp, avant d’être transférée à Ravensbrück.
La question du “pourquoi”
D’une plume alerte, précise et non dénuée d’un humour nécessaire pour surmonter l’horreur, Lucie Adelsberger emmène le lecteur avec elle dans le quotidien qui fut le sien jusqu’à sa libération des camps en 1945. Un quotidien qui l’a conduit à soigner notamment des tziganes et des enfants dans des conditions détestables mais qui laisse entrevoir aussi quelques éclats d’humanité, que la mort et la peur n’ont pas réussi à assombrir. Elle partage les pensées et les interrogations, qui l’ont traversé ainsi que les autres prisonniers qu’elle rencontre quotidiennement tout au long de ces années : “Combien de fois nous étions nous déjà posé ces questions, le soir en nous endormant et le matin lors du brutal réveil, à chaque heure de la journée et la nuit pendant les gardes”, relate-t-elle. Pourquoi ? Quel sens donner à cette épreuve ?
Le récit qu’elle livre ici contient aussi de terribles descriptions, sans emphase ni fioriture. Elle raconte ainsi l’évolution de la ligne de chemin de fer dont le terminus n’était plus Auschwitz comme au début, mais Birkenau, “plus exactement le terminus des crématoires, distant d’à peine une centaine de mètres des deux premiers crématoires.” Elle raconte ces longues files de personnes, des femmes, des enfants, des vieillards qui attendent patiemment. “Comme résolu à marcher vers leur tragique destin. Marchant d’un pas mesuré”, souligne-t-elle avant de reprendre : “Des groupes tournaient aux premiers crématoires, y faisaient halte, faisaient la queue comme les gens dans les pays de famine devant un magasin d’alimentation, ou comme lors d’une première au théâtre et attendaient qu’on leur ouvre” “Jour après jour, nous les voyions. C’étaient d’autres gens, mais toujours le même pèlerinage et la même destination”, poursuit-elle plus loin. Quelques pages plus loin elle reprend : “Cinq flammes gigantesques brûlaient jour et nuit, et quand elles étaient sur le point de s’éteindre, d’autres personnes arrivaient pour leur fournir un nouveau combustible, ce feu jaune-rouge fait de bois et de substance humaine.”
Nous qui ne sommes que des hôtes de passage dans le déroulement de l’Histoire, nous ne connaissons pas toujours le dernier acte, celui de la réconciliation.
Son quotidien durant ces années, Lucie Abdelsberger le décrit sans détour. Mais elle ne cache pas non plus sa révolte et son cri vers le Seigneur. “Pourquoi de telles choses devaient-elles se passer ? Pourquoi tant de gens devaient-ils souffrir ? Ce n’est que très progressivement que je compris que personne ne meurt en vain, que personne ne périt sans qu’il y ait une signification, mais se fond dans un grand Tout, et que la vie d’une communauté comme celle d’un individu tend vers un but intérieur, pas toujours grossièrement visible”, écrit-elle. “Nous qui ne sommes que des hôtes de passage dans le déroulement de l’Histoire, nous ne connaissons pas toujours le dernier acte, celui de la réconciliation, et nous ne pouvons que supposer que ces pèlerins sur le chemin de la mort, au nombre de 500.000 en l’espace de six semaines, cheminaient eux aussi sur une voie de Dieu.”
Après sa libération en 1945, elle émigre aux États-Unis et y poursuit une carrière scientifique et médicale. Elle publie le récit de ce qu’elle a vécu à Auschwitz en allemand en 1955. Décédée à New York en 1971, Lucie Abderslberg poursuit néanmoins, à travers ce livre, ce qu’elle désirait par-dessus tout : témoigner de ce qu’il s’était passé pour ne pas oublier, pour que les esprits et les consciences ne s’endorment jamais face à la souffrance et à l’horreur.
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