Plus d’un mois après sa publication, la déclaration Fiducia supplicans (18 décembre 2023) fait encore couler beaucoup d’encre. Décidément, l’idée que l’on puisse bénir les couples en situation irrégulière ou les couples de même sexe ne passe pas auprès de nombreux pasteurs et fidèles. Plusieurs interventions dans la presse, puis un communiqué du Dicastère pour la doctrine de la foi n’y ont rien fait et ont même ajouté au trouble. Telle cette précision qu’il fallait bénir les couples sans bénir les unions. Qu’est-ce à dire ? Comment faire l’un sans l’autre ? Tant et si bien que de nombreuses conférences épiscopales ont déclaré que dans leurs diocèses, on s’en tiendrait au régime précédent : bénir les individus sans bénir les couples. Ce que le communiqué a fini par admettre à condition de ne pas en faire une opposition de principe.
Une précision du Pape
Pourtant, le pape a donné à propos de la Déclaration une précision qui aurait pu aider à mieux comprendre ce qu’il avait en tête. Devant 800 prêtres du diocèse de Rome, il a expliqué qu’on bénit le pécheur sans bénir le péché. Précision rapportée par Vatican News mais peu relayée. Dommage que le document n’ait pas commencé ainsi, c’eut été beaucoup plus simple. Si on l’interprète comme le pape le dit, il s’agit donc de bénir les couples de pécheurs mais pas les unions pécheresses. Bénir le couple, en ce qu’il aurait quelque chose de bon dont on peut “dire du bien” — c’est cela, une bénédiction, d’après l’étymologie latine (bene-dictio) — sans bénir le péché et l’union pécheresse, car on ne peut jamais dire d’un mal qu’il est un bien. Autrement, ce serait un mensonge, on confondrait le bien et le mal. On ne serait plus les serviteurs de la lumière mais les esclaves des ténèbres.
Qu’est-ce qui permet toutefois de croire que même dans une situation de péché, il subsiste quelque chose de bon que l’on puisse bénir, sans bénir le tout ? La même chose qui permet à Dieu et à l’Église d’aimer le pécheur tout en détestant son péché. Car nul ne se réduit à son péché. Le mal absolu n’existe pas : il se greffe toujours sur un bien. Il n’est qu’un manque, la privation d’un bien qui devrait être là et qui n’y est pas. Même les « valeurs positives » d’un couple peuvent être au service de l’union en ce qu’elle est désordonnée, auquel cas ce serait impossible de bénir l’un sans l’autre. Mais il peut aussi se trouver un bien qui ne soit pas lié au mal de manière indissociable et qui puisse subsister après purification. Cela semble en tout cas le pari de ce document qui fait valoir que même dans une situation de péché, le fait d’implorer Dieu avec confiance (c’est le titre : Fiducia supplicans) doit être déjà considéré comme un mouvement divin, donc un bien que l’on peut louer et bénir, comme une petite flamme fragile qui vacille, qu’on accompagne et qu’on encourage pour qu’elle grandisse petit à petit et illumine progressivement tout le reste. Pari audacieux, que d’aucuns jugeront téméraire.
La difficulté de la ligne claire
Plutôt que le couple avec toutes les ambiguïtés que cela comporte, pourquoi ne pas se contenter de bénir les individus séparément ? C’est la ligne claire, la solution plus sûre qu’ont privilégié nombre de conférences épiscopales, faisant valoir l’impossibilité de faire autrement dans le contexte qui est le leur. Reste que cela conduit à rejeter nombre de nos contemporains qui dans l’état actuel des consciences totalement déboussolées ne voient même plus en quoi leur situation amoureuse serait peccamineuse. Se sentant rejetés dans ce qu’ils vivent pourtant comme quelque chose de bon à leurs yeux, ils se détournent de l’Église jugée de ce fait mauvaise et mensongère, la privant ainsi d’une occasion d’accompagner cette relation pour la purifier sous le regard de Dieu en implorant sa grâce. Le pape invite au contraire à ne pas transformer l’Église en douane où il faudrait déclarer tout ce qui ne va pas avant d’entrer. Option missionnaire qui était déjà celle de son exhortation apostolique Evangelii gaudium (24 novembre 2013), non plus tournée vers des chrétientés mais vers des terres de mission ou de nouvelle évangélisation, non pas des bien-portants mais des malades.
Le risque du scandale
Le risque est là cependant qu’à force de vouloir sauver à tout prix la brebis perdue, on perde les quatre-vingt-dix-neuf autres, délaissées et abandonnées comme des brebis sans berger. À force de ne pas vouloir effaroucher le pécheur en le mettant trop vite en face de son péché, il n’en prenne jamais conscience et n’en soit jamais délivré, tandis que les autres seront conduits à croire que l’Église n’y voit plus un péché. Ce serait alors source de grand scandale : non pas ce qui choque mais ce qui fait chuter dans la foi. Et “malheur à celui par qui le scandale arrive” (Mt 18,7). Le Seigneur n’en dit pas vraiment du bien.
Pratique