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Jésus ou le pape, les commentateurs s’enferment toujours dans les idées reçues

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Antoine Mekary | ALETEIA

Jean Duchesne - publié le 30/01/24

Le pape ou Jésus, "le serviteur n’est pas mieux traité que son Seigneur" ! Pour l’essayiste Jean Duchesne, il n’est pas étonnant que le successeur de Pierre ne se fasse pas mieux comprendre aujourd’hui que Jésus en son temps.

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S’il y avait eu, il y a environ deux mille ans en Palestine, des journalistes et commentateurs aussi bien formés et informés que ceux dont nous bénéficions aujourd’hui, avec des talents comparables non seulement dans le maniement du verbe, mais encore dans cet énième art qu’est la communication, où ce qui compte n’est pas ce qui est dit, mais ce qui en est répété, suscitant des réactions en chaîne, on aurait sans doute eu droit à des variations sur le thème : “Le prophète de Nazareth a malheureusement perdu le fil de sa carrière, qui se trouve désormais dans une dangereuse impasse.”

Déjà des réseaux sociaux dans l’Antiquité 

Avec un minimum d’adaptations (“prophète de Nazareth”, d’après Mt 21, 11, à la place de “pape François” et “sa carrière” au lieu de “son pontificat”), cette phrase est tirée d’une tribune publiée au début de la semaine dernière dans un grand quotidien national qui ne passe pas pour a priori hostile à l’Église et dont le lectorat comprend nombre de catholiques sans complexes. Il n’y avait bien sûr pas, du temps de l’Empire romain, d’aussi magnifiques médias ni autant de brillants éditorialistes qu’aujourd’hui. Mais, spécialement en Orient où déjà des cultures et des civilisations s’entrechoquaient, la vie était suffisamment complexe, conflictuelle et inquiète pour que chaque camp ou parti ait son réseau social répercutant et interprétant les événements.

Les fins observateurs locaux n’auront donc pas manqué de relever (même si, faute de supports adéquats, il reste peu de traces de leurs analyses) les petits succès remportés par un Galiléen venu de nulle part, c’est-à-dire issu d’aucune école ou faction répertoriée. Il avait acquis une certaine notoriété grâce à des dons de rebouteux, qui faisaient qu’on lui amenait des estropiés, des déments, des malades et même des mourants afin qu’il les guérisse. Des foules le suivaient en comptant assister à des prodiges. Il était accompagné d’une petite bande de types très ordinaires (il y avait tout de même parmi eux un collecteur d’impôt). Mais il était aussi suivi par un groupe de femmes, dont certaines étaient des épouses de notables.

Un séducteur piètre politique

Il avait donc un côté séduisant mais, étrangement, il n’en profitait pas comme il aurait pu (ou dû), échappant souvent à ses admirateurs pour se retirer dans la solitude, et on ne voyait pas très bien quelle était sa stratégie. Son discours, avec force paraboles, était attrayant, mais on se demandait où il voulait en venir : tantôt il prêchait la douceur et l’humilité, tantôt il revendiquait d’être pratiquement l’égal de Dieu. Apparemment bon connaisseur de la Loi, des prophéties et des psaumes, apôtre d’une piété restaurée dans sa pureté originelle et redoutable débatteur, il irritait et critiquait sans merci les autorités religieuses. En un mot, il n’avait pas de sens politique et il n’a pas cherché les alliances et soutiens qui auraient permis à son audience et à sa popularité de peser vraiment dans les controverses sur les grands enjeux du moment.

Il mettait même à rude épreuve, paraît-il, ses disciples les plus fidèles. Quand il avait réussi à leur faire admettre qu’il était le Messie, le Fils de Dieu, il le démentait : ou bien il leur interdisait d’en parler, ou bien il leur annonçait qu’il serait arrêté, condamné et exécuté comme un criminel. Il les avait d’ailleurs prévenus qu’ils ne seraient pas mieux traités (Jn 13, 16 ;15, 20). Pour le vulgum pecus, son enseignement était parfois paradoxal (il avait solennellement déclaré bienheureux les malheureux et les faibles), délirant (il fallait manger sa chair et boire son sang pour vivre éternellement) ou contradictoire (il avait dit que “qui n’est pas pour lui est contre lui”, mais aussi que “qui n’est pas contre lui est pour lui”). En bref, tout cela résistait aux rationalisations simplificatrices et sécurisantes.

Lecture réductrice

Il ne devrait donc pas surprendre qu’une déclaration pontificale ou vaticanesque, dans la mesure où elle suit la logique décidément non réductrice du Christ, soit “propice à de multiples interprétations, à tel point qu’elle n’en finit plus de produire explications de texte et “approfondissements ultérieurs”, engendrant une grande confusion, théologique et pastorale”, comme on a pu le lire dans Le Journal du Dimanche. D’un côté, des cardinaux et des épiscopats africains ont objecté, et la presse y a fait écho puisqu’un dissentiment aussi rare est une pâture médiatique de choix. Symétriquement, il a été estimé qu’”une bénédiction s’apparentant à celle que les prêtres donnent déjà à des animaux de compagnie ou des bateaux n’est pas satisfaisante” (formulation relevée dansL’Obs).

Ce n’est pas en se conformant à telle ou telle des idées reçues qui s’affrontent de nos jours en Occident que l’Église survivra.

Précisons (s’il en est besoin) qu’il s’agissait de la possibilité de bénir des “couples irréguliers” et qu’on a bizarrement vu là, en lisant manifestement un peu vite, une reconnaissance de l’homosexualité, voire un premier pas (déjà inacceptable pour certains, encore insuffisant pour d’autres) vers sa légitimation. Or les ménages durables entre personnes de même sexe sont un phénomène marginal : en France, les statistiques officielles font état de quelques dizaines de milliers, alors que peuvent se compter par dizaines de millions les cohabitations hétérosexuelles non fondées sur le sacrement de mariage et souvent même pas formalisées civilement — autrement dit l’écrasante majorité des unions que l’Église appelle “irrégulières” et donc de ceux que peut concerner Fiducia supplicans (à condition qu’ils aient envie d’une bénédiction).

Un trublion face aux tétanies intellectuelles et morales

On constate ici un malentendu entre d’un côté le discours des héritiers actuels du “prophète de Nazareth”, et de l’autre un auditoire empêtré dans la problématique où l’enferment les faiseurs d’opinion. L’incompréhension n’est pas uniquement due à l’inattendu du message ou à sa subtilité (qui, par exemple, réprouve le péché sans condamner irrévocablement le pécheur). Ce qui bloque, détourne et égare est en l’occurrence une fixation obsessionnelle sur la normalisation des sexualités décalées, ce qui est considéré dans l’intelligentsia comme le critère ultime du Bien devenu innommable autrement. Mais il y a bien d’autres formes de tétanie intellectuelle et morale. Il y en avait déjà dans l’Antiquité et sans doute y en aura-t-il jusqu’à la fin des temps.

Dans le cas de Jésus, on se demandait s’il allait rétablir la royauté en Israël. Des nostalgiques l’espéraient, de plus réalistes ne lui donnaient aucune chance d’y réussir et cherchaient des compromis. Ni les premiers ni les seconds ne laissaient les actes et les propos de ce trublion ébranler leurs certitudes et libérer d’abord leur regard, et tous se sont avérés se tromper. Les choses n’ont pas tellement changé depuis : ce n’est pas en se conformant à telle ou telle des idées reçues qui s’affrontent de nos jours en Occident que l’Église survivra. Ce qui l’anime invinciblement depuis maintenant deux millénaires n’est pas le souvenir d’un passé auquel elle s’accrocherait. C’est la présence vivante et active en son sein de ce rabbi galiléen que nul ne peut domestiquer et qui ne chahute pas moins les siens que les autres.

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